« Tout ce qui touche au langage est dans mon souvenir motif de rancœur et de chicanes douloureuses, bien plus que l’argent » écrit Annie Ernaux dans La Place (1984). Dans les récits d’Ernaux, la langue est le symbole du passage d’un monde social à un autre, mais aussi ce que crée l’autrice, l’outil avec lequel elle choisit de représenter le monde.
Cette conférence participative se propose de revenir sur la place de la langue dans/de Annie Ernaux. Elle se divisera en trois temps :
Une explication de certains extraits de La Place qui illustrent des concepts socio-linguistiques (insécurité linguistique, marché linguistique, hyper et hypo-correction, etc.)
Une présentation et une analyse des enjeux de traduction de ces extraits en plusieurs langues (anglais, allemand, espagnol…) et sur plusieurs supports (traduction graphique) : comment traduire des spécificités linguistiques qui sont aussi des spécificités sociales et culturelles ?
Un atelier de traduction créative/graphique : à vous de traduire et de (ré)écrire ! (aucune connaissance linguistique spécifique n’est requise)
Organisé dans le cadre du projet Transilangue par Laélia Véron et Biagio Ursi (Université d’Orléans). Avec :
Cécile Chapon (Université de Tours)
Geneviève Guetemme (Université d’Orléans)
Elise Hugueny-Léger (University of St Andrews)
Sebastian Türk (Université d’Orléans).
Ouvert à toutes et à tous, sans inscription. La conférence-atelier aura lieu au MOBE (Muséum d’Orléans pour la biodiversité et l’environnement) d’Orléans, le 22/10, de 18h à 19h30.
Penser le fonctionnement et l’évolution des langues en termes de vie et de fin de vie n’est pas un motif nouveau – bien au contraire : la métaphore biologique ou vitaliste, qui consistait à comparer les langues à des organismes vivants, était particulièrement en vogue au XIXe siècle. Ainsi A. Schleicher comparait-il les langues à « des organismes naturels qui, en dehors de la volonté humaine et suivant des lois déterminées, naissent, croissent, se développent, vieillissent et meurent » (1868) ; ainsi A. Darmesteter filait-il la métaphore dans son ouvrage La vie des mots (1887), en étudiant les processus néologiques et de changement de sens comme des formes de naissance, d’évolution et de mort des mots. À la fin du même siècle, cette métaphore a donné lieu à de nombreux débats et critiques (Bréal 1887), dont la virulence pouvait témoigner d’une mutation profonde dans la conception de la langue : elle serait alors passée « du statut d’organisme naturel à celui d’institution » (Auroux 1979) ; une institution sociale comparable à la « monnaie », autre métaphore séculaire revenue en force pour se substituer à la première (Rey 2008).
… et ses renouvellements actuels
La métaphore biologique continue toutefois d’être très utilisée dans les conversations courantes, et a été tout particulièrement visible dans de récents débats autour de certaines innovations lexicales ou morphosyntaxiques populaires et créatives comme l’écriture inclusive. L’Académie française a ainsi déclaré le 26 octobre 2017 que la langue française se trouvait « désormais en péril mortel »[1], tandis que le collectif des linguistes atterrées (2023) voit au contraire dans ces innovations un témoignage de vitalité[2] de la langue française. On pense aussi aux mouvements de revitalisation des langues en danger, qui, résistant à la mort des langues (Hagège 2000), viennent ajouter un nouvel élément à l’opposition classique entre langue vivante et langue morte. Ces problématiques actuelles renouvellent la métaphore biologique de la vie et de la fin de vie en linguistique en la remettant au goût du jour, avec des enjeux politiques et sociaux qui méritent d’être analysés.
Par ailleurs, d’un point de vue théorique, cette même métaphore est susceptible d’être renouvelée par le récent dialogue établi avec les sciences du vivant par les approches énactivistes ou énactivisantes en linguistique (Bottineau 2017). Paradigme fondé par les biologistes chiliens Maturana et Varela, l’énaction prend sa source dans un questionnement sur la nature du vivant ; ce dernier y est caractérisé par sa capacité à régénérer ses propres composantes, comme l’arbre perd ses feuilles à l’automne pour les régénérer au printemps, ou comme les cellules du corps humain meurent et se régénèrent les unes après les autres. Une langue morte, par opposition à une langue vivante, n’est peut-être pas seulement une langue qui ne « se parle plus », mais aussi et surtout une langue dont les composantes ne se renouvellent plus ; une langue qui ne voit plus certains de ses mots, de ses structures, de ses morphèmes s’éteindre alors que s’en créent de nouveaux au fil des interactions entre les locuteurs. Une langue vivante n’est sans doute en rien comparable à un corps vivant clôturé biologiquement par une membrane ou une peau, avec une naissance et une mort précisément datables ; mais elle se caractérise par une dynamique de renouvellement permanente, au gré des interactions entre des individus multiples. De ces interactions, émerge cet ensemble cohérent et toujours en mouvement qu’est la langue, le système linguistique, dans un fonctionnement probablement comparable à celui de bien d’autres systèmes vivants complexes – du vol d’étourneaux au banc de poissons, en passant par la fourmilière ou la ruche.
Étudier l’obsolescence et la fin de vie de certaines composantes d’une langue, s’intéresser aux moments de basculement de certains microsystèmes, permettra d’observer le fonctionnement même de cette dynamique.
Fin de vie des signes : fonctionnement du système, fonctionnement des signifiants
La question de la fin de vie de certaines formes linguistiques, et d’un renouvellement perpétuel des langues entre néologie et obsologie, avait déjà intéressé J.-C. Chevalier et M.-F. Delport ; sous la plume de cette dernière, on lit par exemple, dans l’introduction du volume La fabrique des mots :
Ne pourrait-on, au bout du compte, voir l’histoire de la langue comme une néologisation continue et opérant à des vitesses diverses, où la place laissée par l’évanouissement d’un mot (appelons-le « obsologie ») crée un « blanc » dans le système, qui est en soi une néologie ? Quatre cas théoriques se présenteraient : celui d’une néologie à deux faces, le « blanc » et ce qui le remplace ; celui où la néologie consiste en une suppression et une création corrélative ; celui d’une création sans suppression ; celui d’une suppression sans création compensatrice. (M.-F. Delport 2000 : 5-6)
Ce sont plusieurs questionnements théoriques qui se posent ici. Postuler l’existence d’un « blanc » dans un système, c’est concevoir le système « langue » comme préexistant aux signes qui viendraient le remplir. C’est le concevoir comme un système pré-construit de représentation du monde, commun à toutes les langues, et que chaque langue aurait simplement à instancier par des signifiants qui lui sont propres. Une autre vision des choses est possible si l’on admet que ce sont les réseaux signifiants qui construisent le système ; si l’on admet que ces réseaux signifiants instaurent par eux-mêmes un ordre de représentation qui n’est pas commandé par une structuration préalable du monde et/ou de l’esprit. C’est à quoi invitent de récentes explorations dans le domaine du signifiant[3]. Placer le signifiant « aux commandes » suppose de repenser profondément la notion de système linguistique, et de repenser également son fonctionnement en tant que système complexe tenant du vivant. Doit-on considérer que la fin de vie d’une forme ou de structures grammaticales signifie l’appauvrissement d’un système de représentation préétabli ? Ressent-on la nécessité de remplacer le signe perdu par un autre (avec lequel il serait alors interchangeable d’un certain point de vue) ? Ou bien au contraire, la fin de vie d’une forme est-elle la trace d’un autre ordre qui est en train de se mettre en place, faisant émerger un autre système de représentation ?
En dernier lieu, si le signifiant est le moteur de la construction du sens, alors, observer la forme même des mots – lire les signifiants – permet peut-être d’accéder à certaines conceptualisations que se donnent les locuteurs : on pourra observer la façon dont les différentes langues disent la fin (fin vs. final en espagnol ; enfin, en fin de compte, au bout du compte, finalement… en français, al fin y al cabo, finalmente, después de todo, a la postre en espagnol, et bien d’autres).
Objectifs du numéro
Le présent numéro se propose ainsi de problématiser les applications actuelles de la notion de fin de vie aux systèmes linguistiques, et d’en interroger les enjeux – selon les cas – théoriques et épistémologiques, ou politiques et sociaux.
Les différentes contributions pourront notamment porter sur les thématiques suivantes (non exhaustives) :
Épistémologie et discussions de la métaphore biologique et vitaliste en linguistique ;
Analyse de discours : enjeux politiques de la métaphore biologique de la « fin de vie » dans les discours sur la fin de vie des langues, des mots ou les langues en danger ;
Études de cas d’« obsologie » : fin de vie d’une forme, d’un microsystème en diachronie ;
Réflexions sur les limites et bornes d’un système d’un point de vue diachronique (permanences, identités et renouvellements d’un « état de langue » à l’autre), voire diatopique (netteté ou porosité des frontières dans le cadre du « contact de langue ») ;
Études de sémantique et pragmatique sur le lexique et la phraséologie de la fin dans les langues romanes.
Les propositions d’articles (titre et résumé de 300 mots environ), accompagnés d’une brève notice biographique, seront à envoyer pour le 15 juillet 2024.
Les décisions d’acceptation seront communiquées aux auteurs pour le 15 septembre 2024.
Après acceptation d’une proposition d’article, les contributions sont à envoyer aux coordinateurs du dossier avant le 15 décembre 2024, délai de rigueur. Les auteurs veilleront à respecter scrupuleusement les normes de présentation disponibles à l’adresse : https://journals.openedition.org/atlante/1302.
Les articles seront soumis à expertise par le comité scientifique, et le retour d’évaluation aux auteurs est prévu le 15 mars 2025.
La version définitive de l’article sera envoyée pour le 15 juin 2025.
Publication du numéro : automne 2025.
Bibliographie indicative
Auroux Sylvain, 1979, « La querelle des lois phonétiques », Lingvisticae Investigationes, 3/1, p. 1-27.
Badir Sémir, Polis Stéphane, Provenzano François, 2016, « Actualités du modèle darwinien en linguistique », dans Cl. Blanckaert, J. Léon et D. Samain (éds.), Modélisations et sciences humaines. Figurer, interpréter, simuler, Paris : L’Harmattan, p. 271-288.
Blestel Élodie & Fortineau-Brémond Chrystelle, 2015, « La linguistique du signifiant : fondements et prolongements », Cahiers de praxématique, 64, en ligne : https://journals.openedition.org/praxematique/3799.
Bottineau Didier, 2017, « Langagement (languaging), langage et énaction, a tale of two schools of scholars : un dialogue entre biologie et linguistique en construction », Signifiances (signifying), 1/1, p. 11-38.
Bréal ([1887] 2005), « L’histoire des mots », dans Essai de sémantique, Limoges : Lambert-Lucas.
Cerquiglini & Pruvost, 2017), Les mots disparus de Pierre Larousse, Paris : Larousse.
Chevalier Jean-Claude, Launay Michel & Molho Launay, 1984, « La raison du signifiant », Modèles linguistiques, 6/2, p. 27-41.
Costa James (éd.), 2013, Enjeux sociaux des mouvements de revitalisation linguistique, numéro de la revue Langage & Société, n°145.
Darmesteter Arsène, 1979 [1887], La vie des mots étudiée dans leurs significations, Paris : Champ Libre.
Delport Marie-France, 2000, « Avant-propos », La fabrique des mots : la néologie ibérique, Paris : Sorbonne Université Presses, p. 5-6.
Dostie Gaetane, Diwersy Sacha & Steuckart Agnès (dir.), 2021, Entre viellissement et innovation : le changement linguistique, numéro 82 de la revue Linx. Revue des linguistes de l’université Paris X Nanterre, en ligne : https://journals.openedition.org/linx/7340.
Duchêne Alexandre & Heller Monica (éd.), 2012, Language in Late Capitalism : Pride and Profit, Routledge.
García Mouton Pilar & Grijelmo Álex, 2011, Palabras moribundas, Madrid : Taurus.
Haboud Bumachar Marleen, 2023, « Desde la documentación activa a la revitalización contextualizada: experiencias con comunidades kichwahablantes en Ecuador », International Journal of the Sociology of Language, 280, p. 91-134.
Hagège Claude, 2000, Halte à la mort des langues, Paris : Odile Jacob.
Launay Michel, 2003, « Note sur le dogme de l’arbitraire du signe et ses possibles motivations idéologiques », Mélanges de la Casa de Velázquez, 33-2, p. 275-284, https://journals.openedition.org/mcv/227.
Les linguistes atterrées (collectif), 2023, Le français va très bien, merci, Paris : Gallimard.
Luhmann Niklas, 2010, Systèmes sociaux : esquisse d’une théorie générale, trad. Lukas Sosoe, Québec : Presses de l’Université Laval.
Maturana Humberto & Varela Francisco, [1972] 1994, De máquinas y seres vivos. Autopoiesis : la organización de lo vivo, Santiago de Chile, Lumen.
Maturana Humberto & Varela Francisco, 1999, El árbol del conocimiento, Las bases biológicas del entendimiento humano. Madrid, España debate (3e éd.).
Maturana Humberto, 1978, “Biology of Language : the Epistemology of Reality”, in George A. Miller and Elizabeth Lenneberg (eds.), Psychology and Biology of Language and Thought: Essays in Honor of Eric Lenneberg, New York, Academic Press, p. 27-63.
Maturana Humberto, 1988, “Ontology of Observing : the Biological Foundations of Self-Consciousness and of the Physical Domain of Existence”, in Rod Donaldson (ed.), Texts in cybernetic theory : an in-depth exploration of the thought of Humberto Maturana, William T. Powers, and Ernst von Glasersfeld, Felton, American Society for Cybernetics (ASC), p. 1-53.
Morvan Malo & al. (org), 2023, colloque La métaphore biologique dans les discours sur les langues, Université de Tours, 16-17 novembre 2023.
Pagès Stéphane (dir.), 2017, Submorphologie et diachronie dans les langues romanes, Aix-en-Provence : Presses Universitaires de Provence.
Pivot Bernard, 2004, 100 mots à sauver, Paris : Albin Michel.
Poirier Marine, 2021, La coalescence en espagnol. Vers une linguistique du signifiant énactivisante. Limoges : Lambert-Lucas.
Raimbault Jean-Claude, 2006, Les disparus du XXe siècle : les 10 000 mots disparus, les 18 000 mots apparus au XXe siècle, Nantes : Éditions du temps.
Rey Alain, 2008, « Les mots, des immortels ? », préface à Héloïse Neefs, Les disparus du Littré, Paris : Fayard.
Roussillon René, 2012, « Fonctions des métaphores biologiques », Libres cahiers pour la psychanalyse, 25, p. 59-82.
Schleicher August, 1868, La théorie de Darwin et la science du langage. De l’importance du langage pour l’histoire naturelle de l’homme (trad. Pommeyrol), Paris : librairie A. Franck.
Le tournant des Lumières est puissamment marqué par des révolutions de la langue française. L’idée d’une langue française « régénérée », « révolutionnée » et bien sûr « révolutionnaire » [Bonnet, Roger] hante la seconde moitié et la fin du XVIIIe siècle. Le bilan de ces changements, que beaucoup espèrent définitifs, sera fortement discuté au début du XIXe siècle. Après avoir déploré « l’abus des mots » [Ricken, Steuckardt], le mitan du siècle impose la quête de leur « justesse » avec la réflexion sur la synonymie et la néologie [Armogathe, Dougnac, Abramovici]. Les représentations de la langue française dans les textes théoriques et fictionnels, les images et les métaphores qui la décrivent, les systèmes et les règles qui la fabriquent, ainsi que les sentiments diffus et confus qui l’entourent, développent de nouveaux imaginaires. Le mythe du « génie de la langue française » et ses attributs corollaires – clarté, rationalité, sociabilité, fixité et même perfection et universalité [Mornet, Fumaroli, Meschonnic, Siouffi] – sont remis en question et amendés. Entre 1760 et 1830, écrivains et théoriciens mettent d’abord en exergue la perfectibilité de la langue française et son mouvement – fût-il saisi et compris au sein d’une stabilité – ils examinent les malentendus et les méfaits de la communication, la part d’ombre et d’opacité de la langue, voire son fanatisme et sa folie latente. La langue française est bien perçue de façon orageuse, comparée à un fleuve qui s’élargit, profond et impétueux, ou encore à une mer qui oscille, avec sac et ressac, souvent tumultueuse. L’idée de ce numéro, les révolutions de la langue française, est d’étudier, du point de vue de l’histoire des idées et de l’histoire de la langue et de la littérature françaises, ce que les écrivaines et les écrivains, les théoriciens de la langue, ainsi que les hommes et les femmes engagés dans et par les mots de la Révolution, nous disent des transformations et des mutations de la langue française. Il s’agira d’analyser comment la langue française se modifie, tant au niveau du vocabulaire que de la grammaire, ou encore de la ponctuation. Quelles révolutions de la langue française sont concrètement réalisées ? Comment et par qui sont-elles insufflées ? De quelles manières sont-elles d’emblée jugées et interprétées ?
Les propositions (5000 signes) sont à envoyer jusqu’au 15/09/2024 à jean-christophe.abramovici@sorbonne-universite.fr et à elise.pavy@u-bordeaux-montaigne.fr. Les articles (30 000 à 35 000 signes, notes et espaces incluses) seront à rendre le 15/03/2025. (Versions définitives après relectures mai 2025, épreuves juillet 2025, parution à l’automne 2025).
Après les recueils de contributions consacrés à « la langue » de Sylvie Germain (EUD, 2010), à celle de Laurent Mauvignier (EUD, 2012), d’Éric Chevillard (EUD, 2013), de Jean Rouaud (EUD, 2015), de Maylis de Kerangal (EUD, 2017), de Marie Darrieussecq (EUD, 2019), de Léonor de Récondo (EUD, 2021) de Régis Jauffret (EUD, 2023), de Bernard Noël (EUD, 2024), de Marie-Hélène Lafon (à paraître en 2025), nous souhaitons donc poursuivre notre investigation du matériau langagier, dans ses réalisations et ses singularisations littéraires les plus contemporaines, avec l’œuvre de Jérôme Ferrari.
On ne compte plus, en effet, les prix pour les récits de Jérôme Ferrari, né en 1968, écrivain et philosophe, auteur de recueils de nouvelles – les premières publiées en 2001 aux éditions Albiana, à Ajaccio –, et de huit romans – dont sept, depuis 2007, chez Actes Sud. Parmi eux, Un dieu un animal (2009), reçoit le Prix Landerneau ; Où j’ai laissé mon âme (2010), le Grand Prix Poncetton SGDL et le Prix Roman France Télévisions ; Le Sermon sur la chute de Rome (2012), le Prix Goncourt ; enfin, À son image, en 2018 reçoit le Prix littéraire du Monde.
Jérôme Ferrari est aussi l’auteur d’essais, notamment autour de la photographie de guerre : À fendre le cœur le plus dur, paru en 2015 avec Oliver Rohe ; et de chroniques pour le journal La Croix, en 2016, qui ont été rassemblées et publiées sous le titre Il se passe quelque chose chez Flammarion en 2017. Il est également l’auteur de nombreuses traductions en français de l’œuvre corse de Marcu Biancarelli.
Or, s’agissant de ses romans, la critique littéraire est assez unanime quant à son « style », son « écriture », sa « langue ». À propos d’À son image, Pierre Assouline dans La République des livres parle d’« une écriture sobre, dépouillée du moindre effet lyrique mais fortement imprégnée de religieux » ; à propos du Principe (2015), il est question d’« une puissante écriture » (Patrick Beaumont, La Gazette Nord-Pas-de-Calais), qui témoigne d’« une grande maîtrise du temps et du récit » (Angélique Moreau, RCF en Berry), où l’écrivain
[…] développ[e] une écriture toujours plus incantatoire, traversée de raies de lumières et de nébuleuses magnétiques. Particulièrement envoûtantes sont ses phrases de fin de chapitres, déroulées avec une évidence triomphale, comme des conclusions de démonstrations scientifiques, synthétiques et poétiques, ouvertes sur l’infini de la pensée. (Martine Landrot, Télérama)
Mais c’est principalement Le Sermon sur la chute de Rome qui aura suscité le plus d’éloges quant à son style, sa « langue » :
« une langue qui ondule comme un long serpent au soleil et que l’éditeur a raison de qualifier de « somptueuse » (Bernard Pivot, Le Journal du Dimanche)
« une langue virtuose et lyrique » (Baptiste Liger, L’Express)
« Dans ce roman, voix du ciel et voix du sang se mêlent, donnant à l’écriture ampleur, violence, profondeur et légèreté : une merveille d’équilibre. » (Paulin Césari, Le Figaro Magazine)
« une langue magnifique qui ne manque pas de grandeur, dans le prologue et le final, et alterne les monologues intérieurs et les dialogues serrés, le cocasse et le tragique, la poésie et le rêve, pour terminer sur le sermon, assumé, sur la chute de Rome » (Sophie Creuz, L’Echo)
« son écriture si profonde, proche des émotions, et pourtant pleine de recul ». (Marine Landrot, Télérama)
« Dans cette fable philosophique, le narrateur prend à son compte les dialogues et les pensées de trois générations de personnages, qu’il pétrit dans une langue superbe pour que lève cette distance nécessaire qui rend les hommes si bouleversants et si pathétiques à la fois. » (Olivier Maison, Marianne)
« La phrase se lance, se développe, dévie, s’enroule sur elle-même, repart pour se déployer en beauté. L’art de l’ellipse, la maitrise de l’humour au cœur du désastre, font de ce roman l’un des plus accomplis de la rentrée littéraire ». (Thierry Gandillot, Les Echos)
« Et ce qui frappe jusqu’au bout, c’est l’incomparable beauté de son écriture, ce phrasé si particulier, imprégné du rythme et de la musicalité des sermons du passé… mais remis au goût du jour. » (Augustin Trapenard, Elle)
Comment donc caractériser plus précisément, plus rigoureusement le style de l’écrivain, et les procédés à l’œuvre qui font sa langue « superbe », « magnifique » ou « virtuose » ? quel est son rapport à la langue ? et à la langue corse qu’il traduit ? comment rapporte-t-il les discours autres ? quelle place accorde-t-il aux figures de style ? Comment décrire sa phrase, son phrasé, son rythme ? comment travaille-t-il les formes verbales pour (se) jouer du temps ? Quelles sont aussi bien les « tensions stylistiques » (G. Philippe) qui parcourent son œuvre et la rendent de ce point de vue reconnaissable ?
C’est ce que nous tenterons de découvrir lors du colloque organisé les 27 et 28 mars 2025 à l’Université de Corte (Corse), en présence de l’écrivain, afin de décrire, d’analyser, dans une perspective stylistique et linguistique, la langue et le rapport à la langue de cet écrivain « insulaire ».
Les actes de la journée seront publiés ultérieurement.
Les propositions (un titre et quelques lignes de présentation) de communication et/ ou de contribution écrite devront parvenir avant le 15 octobre 2024 par courrier électronique aux adresses suivantes :
Sarah Burnautzki et Cornélia Ruhe (dir.), Chutes, ruptures et philosophie : les romans de Jérôme Ferrari, Paris, Classiques Garnier, 2018.
C. Narjoux, « ‘comme si tous les instants du passé subsistaient simultanément, non dans l’éternité, mais dans une inconcevable permanence du présent’ – Le présent photographique de J. Ferrari dans À son image », dans Études corses, « Littératures en Corse », n° 91, décembre 2024, J. Dalbera & P. Marchetti-Leca (dir.), Albiana/ASCH.
E. Su, « Quelques aspects de la phrase dans la trilogie de Jérôme Ferrari », dans Études corses, « Littératures en Corse », J. Dalbera & P. Marchetti-Leca (dir.), Albiana/ASCH, à paraître en décembre 2024.
Mathilde Zbaeren, Des mondes possibles, des romans de Jérôme Ferrari ; postface de Jérôme Meizoz ; avec une préface de Jérôme Ferrari, Archipel, 2017.
Présence Francophone est publiée deux fois l’an. La revue reste fidèle à son objectif originel: l’étude comparée des littératures de langue française hors de France. les analyses textuelles y gardent une place importante. Elle aborde aussi les aspects sociologique et institutionnel des littératures. La revue se propose d’étudier le problème de l’autonomie des littératures francophones. Elle privilégie les études d’ensemble plutôt qu’une approche centrée sur une seule œuvre ou un seul auteur. L’usage de la langue française dans le monde retient l’attention de la revue. Il s’agit de décrire son expansion, sa diversification et sa normalisation. Les analyses portent sur les enjeux, les conflits, les rapports de force entre le français et les langues concurrentes. La revue présente aussi des descriptions de l’état réel du français dans ses variétés.
9h30 Estelle MOUTON-ROVIRA (Université Bordeaux-Montaigne) – «Marie-Hélène Lafon et Flaubert : perspectives critiques, littéraires et stylistiques »
10h Laurent SUSINI (Université Lumière Lyon 2) – « « Si encombré d’images rugueuses » : de la composition par « blocs erratiques » dans L’Annonce de Marie-Hélène Lafon »
10h30 Anne-Marie PAILLET (ENS de Paris) – « La fluidité dans L’Annonce »
Discussion et pause
11h30 Alexandre FERRATON (Université Sorbonne nouvelle) – « Marie-Hélène Lafon : une langue-paysage « La langue c’est le pays que j’habite » »
12h Florian PRÉCLAIRE (THALIM) – « Le corps retrouvé de langue »
Discussion
12h45 Déjeuner
14h Catherine RANNOUX (Université de Poitiers) – « « on » dans l’écriture de Marie-Hélène Lafon »
14h30 Agnès FONTVIEILLE (Université Lumière Lyon 2) – « (ne pas) faire des histoires »
Discussion et pause
15h30 Emily LOMBARDERO (Université Paris Cité) – « Histoires de fils et de pères : les noms relationnels dans les récits de Marie-Hélène Lafon »
16h Cécile LATEULE (cinéaste) – « Dansons tant qu’on n’est pas morts »
Discussion
Vendredi 24 mai
9h Dominique RABATÉ (Université Paris Cité) – « La temporalité dans les récits de Marie-Hélène Lafon »
9h30 David GALAND (Sorbonne Paris Nord) – « Le temps des “possibles abolis” : usages du conditionnel passé chez Marie-Hélène Lafon »
10h Chloé BRENDLÉ (docteure de Paris Cité) – « “Embrasser les temps”, conjurer la fin : de la variation des temps verbaux dans l’œuvre de Marie-Hélène Lafon, en particulier Les Derniers Indiens (2008) et Nos Vies (2017) »
Discussion et pause
11h Sandrine VAUDREY-LUIGI (Université de Bourgogne) – « Ce que nous dit le point-virgule de la langue de Marie-Hélène Lafon »
11h45 Entretien avec Marie-Hélène Lafon
12h45 Déjeuner
14h Stella PINOT (Université Aix-Marseille), « Traces d’oralité. La langue parlée de Marie-Hélène Lafon »
14h30 Cécile NARJOUX (Université Paris Cité) – « Non-coïncidences du dire dans Les Pays et Les Sources »
Discussion et pause
15h30 Bérengère MORICHEAU-AIRAUD (Université de Pau) – « La traversée des discours représentés dans Les Pays »
16h Claire STOLZ (Sorbonne Université) – « Discours rapportés et représentation des régionalismes cantalous chez Marie-Hélène Lafon »
Discussion & mot de clôture
Informations pratiques
Université Paris Cité – Campus des Grands Moulins Arrêt Bibliothèque François Mitterrand (RER C ou Métro Ligne 14)
Esplanade Pierre Vidal-Naquet Campus des Grands Moulins Bâtiment C 6ème étage Salle Pierre Albouy (695)
Défini d’une manière générale comme une situation où deux ou plusieurs personnes ou groupes qui se disputent un avantage, un bien qui ne peut revenir qu’à un seul, le mot clé du colloque implique une idée d’antagonisme, voire de lutte, et s’enrichit de nouveaux contextes et significations lorsqu’on l’envisage dans le cadre de la recherche linguistique et littéraire.
Dans chacune de ces perspectives, il est possible d’aborder de multiples questions telles que : quel peut être l’objet de la rivalité et les adversaires qu’elle implique ? Naît-elle toujours de la concurrence ? Conduit-elle toujours à un conflit ? Exclut-elle définitivement l’influence mutuelle ? Peut-elle conduire à un compromis ?
Pour les études littéraires, le thème de la rivalité n’est ni rare ni exceptionnel, il jalonne les œuvres littéraires de toutes époques aussi bien au niveau de leurs genèse, statut ou fable, offrant plusieurs pistes de recherches :
affrontement d’écrivains, de personnages, de textes, de genres, de courants, d’époques littéraires ;
querelles et scandales littéraires ;
opposition d’idées, de goûts, de styles ;
rivalité en tant que moteur de création ;
compromis et coopération issus d’un antagonisme ;
arrivisme, carriérisme, stakhanovisme.
En linguistique, la rivalité peut être considérée aussi bien comme une unité d’analyse (sémantique, lexicale, morphologique…) que comme un mécanisme de tension ou d’opposition au sens large, impliquant différents niveaux de réflexion sur la langue. Ainsi, les propositions de communications peuvent aborder les problématiques suivantes :
le lexème rivalité et ses emplois discursifs (approche lexicométrique, sémantique, contrastive etc.) ;
le champ lexical de rivalité en français et, éventuellement, en d’autres langues ;
la rivalité entre les formes linguistiques en français (point de vue diachronique, diatopique, diaphasique, diastratique…) ;
la néologie et l’emprunt à l’anglais en français contemporain (concurrence ou synergie ?) ;
la rivalité entre les paradigmes de recherche linguistique, les approches théoriques et méthodologiques dominantes (aperçu historique et/ou synchronique).
Pour ce qui est de l’acquisition et de la didactique des langues, la rivalité peut concerner aussi bien l’affrontement entre les langues que la divergence des formes à l’intérieur d’une langue donnée. La réflexion proposée pourra ainsi s’orienter vers des questions portant sur :
le multilinguisme en tant que système de cohabitation de deux/plusieurs langues chez le même locuteur ;
l’interlangue des apprenants en tant que système intermédiaire dynamique entre la L1 et la L2 en acquisition ;
l’impact de la langue orale sur la langue écrite/ de la langue écrite sur la langue orale selon les contextes différents de l’appropriation d’une L2 ;
le français à enseigner ou les français à enseigner : la divergence entre les langues « globales » et leurs réalisations « locales » ;
les langues MoDiMEs (Moins Diffusées et Moins Enseignées) et leur (op)position par rapport aux langues dites « majeures ».
N’étant pas exhaustive, cette liste peut être librement développée et complétée par d’autres points de vue sur le problème de la rivalité en langue et en littérature. Le comité scientifique demeure ouvert à toute autre proposition de communication en lien avec le thème du colloque.
Comité scientifique
Janusz Bień (Université Catholique de Lublin Jean-Paul II)
Christophe Cusimano (Université Masaryk de Brno)
Philippe Hamon (Université de la Sorbonne Nouvelle Paris III)
Georges Jacques (Université Catholique de Louvain)
Marie-Dominique Joffre (Université de Poitiers)
Greta Komur-Thilloy (UHA Mulhouse)
Anna Kucharska (Université Catholique de Lublin Jean-Paul II)
Véronique Le Ru (Université de Reims)
Anna Mańkowska (Université de Varsovie)
Claire Martinot (Université Paris Sorbonne)
Paweł Matyaszewski (Université Catholique de Lublin Jean-Paul II)
Marc Quaghebeur (Archives & Musée de la Littérature ; Association européenne des études francophones)
Sebastian Piotrowski (Université Catholique de Lublin Jean-Paul II)
Dorota Śliwa (Université Catholique de Lublin Jean-Paul II)
Marzena Watorek (Université Paris 8)
Witold Wołowski (Université Catholique de Lublin Jean-Paul II)
Comité d’organisation
Jakub Duralak
Nina Klekot
Edyta Kociubińska
Aleksandra Krauze-Kołodziej
Paulina Mazurkiewicz
Aleksandra Murat-Bednarz
Judyta Niedokos (présidente)
Urszula Paprocka-Piotrowska
Stanisław Świtlik (secrétaire)
Katarzyna Wołowska
Modalités de participation
La langue de la conférence sera le français.
Les propositions de communication (300 mots maximum) sont à soumettre au plus tard le 31 mars 2024. Merci de les envoyer à l’adresse : rivalite2024@kul.pl
L’annonce de l’acceptation de la proposition se fera fin avril 2024.
Les frais d’inscription (à payer après la décision positive du comité scientifique) sont de 600 zlotys (130 euros pour les virements internationaux) et incluent :
les pauses café,
le dîner de gala,
la publication (après l’évaluation positive du comité de rédaction).
Le programme définitif sera communiqué en octobre 2024.
Dans les premières pages de Là-bas, Joris-Karl Huysmans appelle de ses vœux une esthétique romanesque nouvelle qu’il nomme le naturalisme spiritualiste. La tradition critique associe celui-ci à la conversion religieuse du romancier, mais elle s’est plus rarement interrogée sur sa conversion poétique, qui s’effectue dans et par l’écriture. Les configurations narratives, descriptives et stylistiques qui en découlent témoignent de changements formels, afin que s’épousent matière et spiritualité. Cette difficile incorporation prend trois formes.
L’incarnation de l’esprit travaille la surface sensible en la décomposant ou en la doublant d’une épaisseur nouvelle afin de construire une narration en deux strates. La transsubstantiation, quant à elle, altère les paysages, les personnages ou les objets représentés, absorbant en eux l’érotisme comme le sacré. La transmutation, enfin, par l’art culinaire ou l’alchimie, convertit les matériaux disparates en une substance unique.
Clef de voûte d’En rade, Là-bas et En route, le naturalisme spiritualiste concentre ses effets au cœur de cette trilogie de la conversion esthétique.
Alice De Georges est maître de conférences de littérature française habilitée à diriger les recherches à Université Côte d’Azur. Elle a consacré l’essentiel de ses travaux de recherche au roman du XIXe siècle et aux œuvres de Barbey d’Aurevilly et de Huysmans. Elle a publié Les Illusions de l’écriture ou la crise de la représentation dans l’œuvre romanesque de Jules Barbey d’Aurevilly (Champion) en 2007 et édité La Retraite de M. Bougran de Huysmans (Classiques-Garnier, 2019).
Sous la direction de Jérôme Hennebert & Vincent Vivès
Que serait la « Rhétorique profonde », à laquelle Baudelaire se réfère dans ses projets de préface aux Fleurs du Mal, sans certains effets de langue, tant au niveau du mot que de la phrase ou du discours ? Les études ici réunies résolvent des questions de style importantes pour tout interprète de l’œuvre de Charles Baudelaire, qu’il s’agisse des Fleurs du Mal, du Spleen de Paris, des Fusées ou de Pauvre Belgique ! De l’analyse des conjonctions à celle des images, du questionnement de la polysémie à celui des ruptures énonciatives, l’ouvrage comble ainsi une lacune dans la bibliographie des études baudelairiennes.
Réunies par Marie Delcourte, Marc Galochet, Fabrice Guizard, Emmanuelle Santinelli-Foltz