Étiquette : Style

  • L’épistolier-lecteur

    Styles de lettres, styles de vies

    L’épistolier-lecteur. Styles de lettres, styles de vies.

    Séminaire du Centre d’Étude des Correspondances et Journaux Intimes, CECJI, ÉA 7289

    Année 2025

    Responsable : Marianne Charrier-Vozel

    Contact pour la visioconférence : marianne.charrier@univ-rennes.fr

    Programme

    Vendredi 17 janvier 2025

    Vendredi 14 février 2025

    14h-15h30 en visioconférence
    Jürgen SIESS, Université de Caen
    « Rilke épistolier. L’image du lecteur »

    Vendredi 21 mars 2025

    14h-15h30
    Geneviève HAROCHE-BOUZINAC, Université d’Orléans
    « Usages de la lecture dans les lettres de Madame de Sévigné »

    Vendredi 13 juin 2025

    14h-15h30
    Antonia ZAGAMÉ, Université de Poitiers
    « La recherche du bel endroit, un habitus de lecteur de Diderot dans la correspondance à Sophie Volland »

    Vendredi 26 septembre 2025

    14h-15h30
    Suzanne DUVAL, Université  Gustave Eiffel
    « La bibliothèque des épistoliers médecins du XVIIe siècle est-elle ancienne ou moderne? L’exemple de Samuel Sorbière et de Guy Patin »

    Vendredi 10 octobre 2025

    14h-15h30
    Bruno BLANCKEMAN, Université  Sorbonne Nouvelle Paris-3
    « Le « lire-écrire » critique de Marguerite Yourcenar dans sa correspondance »

    Vendredi 14 novembre 2025

    14h-15h30
    Gwenaëlle SIFFERLEN, Université de Bourgogne
    « De Victor Hugo à Juliette Drouet : lire, copire*, écrire »

    Informations pratiques 

    Organisé par Centre des correspondances et journaux intimes des XIX et XXe siècles – CECJI (EA7289)

    Séminaire du 17 janvier 2025 au 15 novembre 2025

    Faculté des Lettres et Sciences Humaines
    20, rue Duquesne
    Brest

    Les séances peuvent être suivies en visioconférence sur inscription, contact : marianne.charrier@univ-rennes.fr.

  • Gilles Philippe, Une certaine gêne à l’égard du style

    Gilles Philippe, Une certaine gêne à l’égard du style, Bruxelles, Les Impressions Nouvelles, 2024, 246 p.

    […]Poursuivant le chemin entamé il y a une vingtaine d’années entre stylistique et critique littéraire, et marqué par une demie douzaine d’ouvrages, G. Philippe, professeur ordinaire à l’Université de Lausanne, continue de décliner son approche transversale du style littéraire moderne et de ses imaginaires. Défenseur d’une stylistique historique désauteuriste, il a notamment publié Sujet, verbe, complément. Le moment grammatical de la littérature française (1890-1940) (2002), puis Le rêve d’un style parfait (2013) et plus récemment Pourquoi le style change-t-il ? (2021), qui porte sur les évolutions stylistiques collectives. Le présent volume développe une thématique, ou plus exactement une problématique rarement abordée par la critique : les tensions théoriques et pratiques autour du style. Cela revient, du moins en partie, à réexaminer le changement stylistique non plus en diachronie mais en synchronie, tout en s’appuyant sur l’évolution générale des pratiques rédactionnelles, que G. Philippe connaît très bien depuis La langue littéraire. Une histoire de la prose en France de Gustave Flaubert à Claude Simon (2009), l’ouvrage collectif qu’il a codirigé avec J. Piat. Sa réflexion s’inspire ouvertement de la critique déconstructionniste des années 1980 : « ce que nous percevons comme un style, dans sa possible originalité et dans son idéale unité, n’est rien d’autre que le résultat d’options contradictoires et la sédimentation de tensions rédactionnelles » (p. 6). Fondé sur des enquêtes minutieuses portant à la fois sur les œuvres littéraires, les écrits théoriques et la réception critique d’une série d’écrivains, l’essai vise à dégager une typologie et des tendances générales. Il est constitué de sept chapitres équilibrés, portant chacun sur un auteur majeur et/ou mineur du XXe siècle suivant l’ordre chronologique, d’une section consacrée aux sources et aux remerciements, et enfin d’un index des noms propres.

    L’introduction (« Malaises de Bergotte » p. 5-18) expose que « chaque projet esthétique » est « confronté à des injonctions contradictoires et les gère à sa façon » (p. 7). Il existe « trois grandes options » : privilégier une injonction, tenter un compromis entre les injonctions contradictoires ou chercher « une solution tierce […] au risque que cette solution n’engendre une nouvelle tension » (p. 7). Pour expliquer la suspension du « principe de cohérence » (p. 8), G. Philippe rappelle le principe présenté dans son précédent livre, consacré au changement stylistique, à savoir que « [c]haque génération doit […] conjuguer les impératifs et habitudes stylistiques encore vivaces des décennies qui ont précédé et les valeurs et pratiques qui sont en train de s’imposer » (p. 13). L’objectif est triple : typologique – « tensions dans la doctrine elle-même, tensions entre la doctrine professée et la pratique effective, tensions entre les formes rédactionnelles mises en œuvre dans un même texte » (p. 18) –, historique – les tensions repérées sont-elles révélatrices d’une tension plus générale ? – et surtout ontologique puisqu’il s’agit de « faire valoir […] que la tension stylistique est le mode d’existence naturel des œuvres littéraires » (p. 18).

    Le parcours d’écrivains qui permet de dégager les différentes modalités des tensions stylistiques dans la théorie et/ou dans la pratique commence par « La double postulation stylistique de Ramuz » (p. 19-46). Dans la pensée, il existe une tension entre les deux principales revendications rédactionnelles de l’auteur « qui sont le ton de l’oral spontané et « un parler local opposable au parler “de Paris” » (p. 19). Dans la pratique, une langue populaire et locale coexiste avec des tours qui font « écho à l’impressionnisme littéraire “artiste” de la fin du XIXe siècle » (p. 34), comme en témoignent la « marqueterie des temps de la conjugaison » (p. 37) ainsi que l’usage du point de vue et du discours rapporté. L’esthétique « continuiste » du XIXe siècle et l’esthétique « discontinuiste » qui émerge dans le premier tiers du XXe siècle coexistent chez Ramuz, complexité que la tradition critique avait simplifiée « pour sauver la cohérence » (p. 49).

    « La demi-démesure de Bernanos » fait l’objet du chapitre II (p. 47-77). G. Philippe, qui a préfacé l’édition des œuvres romanesques complètes de cet auteur dans la collection « Bibliothèque de la Pléiade » (Gallimard), observe une double série de tensions :

    (la référence répétée à l’enfance dans une œuvre dont la prose récuse tout « esprit d’enfance » ; la convocation d’une langue esthétisée jusqu’à la décadence dans une œuvre qui fait le procès de la littérature) pour mettre au jour une autre série de tensions : le recours à la démesure expressionniste comme solution à un problème proprement stylistique, la conscience que cette démesure n’est qu’un autre piège tendu par la littérature […] et le choix bien périlleux de ce qu’il convient alors d’appeler une demi-démesure comme compromis entre des forces contradictoires. (p. 49)

    En s’appuyant sur les imaginaires du temps, l’auteur de l’essai rapproche le langage de l’enfance d’« une littérature dont le style ne soit pas ou du moins pas trop littéraire » (p. 50), mettant en évidence l’ambiguïté du discours scolaire sur le rapport entre langue et littérature, au moment où Bernanos était scolarisé : le culte des grands auteurs coexiste avec « la méfiance envers l’écriture littéraire » (p. 57). Loin du langage de l’enfance, « [a]vec l’éloquence, le lyrisme est la deuxième pente naturelle de Bernanos » (p. 63), mais sa prose romanesque est surtout « expressionniste » (p. 65). Partagé en somme entre la fascination pour la belle langue et « l’idéal de l’enfance et de la sainteté », Bernanos est un exemple « un peu facile d’un principe […] qui veut que les pratiques rédactionnelles soient constamment traversées de tensions voire d’injonctions contradictoires que l’écriture a parfois pour but de neutraliser, parfois même de masquer » (p. 77).

    Le chapitre III, « Légères tensions, petits tiraillements » (p. 79-109), s’intéresse à Simenon puis à l’écrivaine suisse Catherine Colomb en guise de contrepoint, pour illustrer la thèse qu’ « il n’est probablement aucun texte qui ne présente des tiraillements entre des options stylistiques disponibles ou souhaitées » (p. 79). Simenon fait partie des écrivains au « statut littéraire mal assuré », pour lesquels « la question du style est toujours parasitée par celle de la légitimité » (p. 79). G. Philippe entend montrer qu’il offre pourtant bien « un style d’auteur, répondant aux exigences que la modernité pose aux œuvres pour vérifier la nature proprement littéraire de leur écriture » (p. 79), à savoir l’originalité et la cohérence. Il s’appuie sur quelques-uns des récits de la « période Fayard » – dont les bornes chronologiques auraient pu être indiquées –, au cours de laquelle Simenon a publié sous son nom de naissance. En vertu du principe que « les tensions stylistiques peuvent être en partie ramenées à la confluence de deux courants contraires à un moment donné de l’histoire littéraire » (80), les œuvres de Simenon participent à la fois des pratiques rédactionnelles « du roman impersonnel, subjectiviste voire impressionniste, héritées du second XIXe siècle », et de la « sensibilité expressionniste » (p. 80). L’effacement du narrateur « permet d’adopter la perspective d’une conscience désignée à la troisième personne » (p. 81-82).
    Pour traiter de l’impressionnisme stylistique de Simenon, G. Philippe rappelle au préalable

    que bien des pratiques rédactionnelles sont contraintes par la volonté d’écrire différemment d’encombrants prédécesseurs, mais il s’avère que l’angoisse la plus fréquemment exprimée par les écrivains concerne paradoxalement la possible influence de leur style « spontané » sur l’écriture à laquelle il [sic] souhaite aboutir […]. (p. 83)

    L’impressionnisme stylistique s’appuie sur un « travail sur la grammaire et surtout sur le verbe » (p. 86) : « l’emploi fréquent de l’imparfait dans des séries de verbes qui appellent plutôt le passé simple », « le recours massif à l’animisme grammatical » (ibid.), avec des tours regroupés sous l’étiquette « phénoménisme » (« le réel n’y est plus donné pour lui-même, mais en tant qu’il fait ou peut faire l’objet d’une perception, le phénomène étant alors présenté indépendamment de sa cause ou de son origine » (p. 87)). Bernanos évite les traits « les plus voyants » de l’écriture « artiste », notamment l’inversion emblématique « qui consiste à substantiver l’épithète de sorte qu’elle devienne la tête du groupe nominal, le référent se voyant rejeté en seconde position et la qualité l’emportant sur l’objet » (p. 88).
    La tendance à l’expressionnisme, quant à elle, repose en premier lieu sur la présentation d’un monde et donc d’un vocabulaire dégradé, faisant l’objet d’une « insistance pessimiste » incarnée par une « intensification lexicale ou grammaticale » (p. 91). Plus mesuré encore que son impressionnisme, l’expressionnisme de Bernanos « se heurte à sa volonté de contenir les métaphores et à la répugnance de toute son époque pour les adjectifs » (p. 92). En second lieu, l’expressionnisme s’incarne dans « la présence d’un regard et d’une voix, ou au moins d’un ton, en rupture avec la narration impersonnelle qui est la condition d’être des textes impressionnistes » (p. 93) : la focalisation interne et le discours indirect libre en sont caractéristiques. Mais dans le même temps les romans de Simenon sont parcourus de questions et d’exclamations attribuables à un narrateur car « Simenon ne veut pas faire trop “littéraire”, et sa prose est […] plus proche de celles des romanciers de la veine populiste » (p. 96). Deux traits de modernité sont la phrase sans verbe et la parataxe (suppression des connecteurs).
    À l’instar de Ramuz, Simenon semble donc avoir « voulu céder à la fois à deux tentations contradictoires » (p. 98) : une tentation continuiste (impressionnisme) et une tentation discontinuiste (expressionnisme). Ces tensions se seraient stabilisées et sédimentées par la suite pour former le style de Simenon.

    Le chapitre se clôt sur une section consacrée aux romans de Catherine Colomb parus à partir de 1934, dont la « prose […] réputée difficile et à fort rendement esthétique » (p. 99) présente des « tiraillements rédactionnels » comparables mais en dérogeant par le lyrisme au modèle hérité. L’ « idéologie du style » occulte ces tensions ou tente là encore de les interpréter à tout prix dans un projet esthétique cohérent (p. 109).

    C’est la théorie de Valéry qui fait l’objet du chapitre IV (111-141), lequel s’appuie sur le Cours de poétique de l’écrivain tel que publié par William Marx en 2023. Le principe cardinal de Valéry est que « l’écrivain a vocation à explorer les potentialités de la langue […] » (p. 112), mais aussi, de manière conformiste, le style comme « signature idiolectale » (p. 113). La contradiction est forte, puisque « l’apologie spontanée de l’originalité se teinte souvent d’un soupçon de méfiance envers toute idolâtrie de la nouveauté » (p. 114). « Cette tension entre une conception (disons, néoromantique) purement singularisante du style et le maintien (disons, néoclassique) d’un idéal désingularisé » (p. 114) serait en fait « une simple question de niveaux. La phrase avec ses composants lexicaux, ses tours grammaticaux, ses figures, sera le lieu de l’innovation et de la singularisation ; le texte, en revanche, sera le lieu où se maintient une règle qui s’impose à tous, celle de la continuité » (p. 115). La continuité recherchée est « finalement moins textuelle qu’énonciative », elle est assurée par le maintien de la « voix », c’est-à-dire « par l’omniprésence du je » (p. 120), ce qui permet de « dénouer la tension » entre une double exigence, le singulier et le collectif, l’un et l’autre étant « également nécessaires à la création d’un effet de voix » (p. 120).

    À l’issue de ce parcours des écrits de Valéry sur plusieurs décennies, G. Philippe se tourne vers le cours du Collège de France, qui ouvre une perspective différente, où les tensions stylistiques semblent encore plus vives :

    La poétique prônée par Valéry se veut sinon collective du moins générale et même impersonnelle ; il s’agit de mettre au jour les conditions d’apparition et les modalités de fonctionnement des œuvres sans les ramener à des séries de cas particuliers. On comprend dès lors que la notion du style n’y trouve pas aisément sa place, puisqu’elle désigne pour Valéry la signature rédactionnelle d’un écrivain singulier. (p. 125)

    À la gêne de Valéry face au style s’ajoute sa gêne vis à vis de la stylistique. Il est néanmoins possible « de reconstituer dans le cours les premiers éléments d’une stylistique valéryenne, ou du moins quelques options en vue de la description proprement stylistique des textes. […] le privilège donné à la dimension sonore des faits de langue sur leur dimension lexicale et le faible intérêt accordé aux faits grammaticaux » (p. 133). De plus « la syntaxe n’est jamais considérée pour elle-même par Valéry, mais seulement comme lieu d’appariement des items lexicaux » (p. 134), en d’autres termes « les règles d’agencement des mots dans la phrase relèvent d’une contrainte préétablie comparable aux règles de l’alexandrin classique » (p. 135). Dans ces conditions, « la seule catégorie grammaticale qui intéresse vraiment Valéry [est] l’épithète » (p. 135), parce qu’elle rapproche les termes : « il n’est pas nécessaire d’avoir un lexique étendu et des termes rares pour obtenir le meilleur rendement sémantique : il suffit de jouer sur les acceptions et de travailler les rapprochements […] » (p. 136). G. Philippe aborde pour finir les réflexions de Valéry sur les rapports entre prose et poésie d’une part, et ceux que l’écrivain entretient avec les « bizarreries langagières » (p. 139) d’autre part.

    Le chapitre V, « Bariolages et bigarrures : Camus, 1942 » (p. 143-171), revient sur un roman fort étudié, L’Étranger, à partir d’une remarque de Barthes en 1944 : « le style de son livre repose sur une donnée contradictoire ». Dans un premier temps il décrit la « marqueterie stylistique » du texte, constituée notamment de contradictions énonciatives, qu’il illustre en relevant un certain nombre d’hésitations, « sur l’accord du subjonctif après un verbe recteur à l’imparfait » ou « dans la construction de l’infinitif » (p. 145). C’est l’emploi du discours indirect libre principalement qui a suscité « le sentiment d’un étrange changement de ton à la toute fin du récit » (147), mais c’est aussi l’hésitation « entre volonté d’éviter et volonté d’organiser la textualisation des énoncés » (p. 148), qui passe par l’alternance de phrases simplement juxtaposées et de phrases liées par des connecteurs. Enfin l’instabilité stylistique repose sur l’hésitation entre la simplicité narrative et des « tours ou des images dont la recherche détonne » (p. 152). Mais selon les critiques, « [à] chaque fois […] le lieu de la contradiction se déplace : il est dans le style de l’auteur pour Sartre, dans le ton du récit pour Blanchot, entre le projet de l’œuvre et ses modalités rédactionnelles pour Barthes, entre le personnage du roman et les mots qu’on lui prête pour Nathalie Sarraute (…) » (p. 155). Si l’on compare le texte de 1942 avec les « légères modifications » que Camus lui a apportées « au fil des premières réimpressions » (p. 157), le principe selon lequel « le retravail post-éditorial est généralement guidé par la première réception publique de l’œuvre » (p. 157) semble avoir été respecté. Si ces modifications ne présentent pas de « systématicité », elles sont « congruentes » (p. 158). Elles obéissent à une « visée principalement stylistique, à deux exceptions près […] » (p. 158), qui consiste en l’évitement des « répétitions de mots en contexte étroit, soit par suppression, soit par substitution » (p. 159), la correction des « maladresses lexicales » et les « ajustements grammaticaux » (plus rarement) (p. 160). Le bilan est que « [r]ien de tout ceci ne suffit à modifier radicalement la couleur stylistique de L’Étranger, mais tout nous éloigne de la tonalité légèrement “parlée” que le roman semblait contractualiser en ses lignes initiales » (p. 161). Malgré tout, Camus semble avoir conservé « un certain malaise quant au style qu’il avait utilisé » (p. 162). En résumé, les injonctions contradictoires du style de L’Étranger sont

    la radicalité lyrique du style « spontané » de l’écrivain et l’exigence classique toujours revendiquée ; la nécessité de compenser, par des concessions à la langue romanesque stabilisée, la sécheresse d’une modernité emblématisée par les techniques dites alors « américaines » ; l’exigence d’un réalisme langagier appelé par la personnalité du narrateur et la volonté de fournir un texte qui reste littéraire, etc. (p.169)

    Si « [t]ous les textes présentent […], à un degré plus ou moins grand, des traces de polychronie stylistique […] » (p. 170), les premiers lecteurs ont été gênés par l’absence de cohérence du roman de Camus : « décalage entre ce que nous savons du narrateur et ce que nous voyons de sa langue, […] décalage entre diverses portions du texte, […] tension permanente entre deux modèles rédactionnels » (p. 170). Cette incohérence peut être jugée ininterprétable (c’est « la part d’échec » inévitable de toute œuvre littéraire) ou interprétable. Quoi qu’il en soit, « L’Étranger a vocation à demeurer un cas d’école, puisque la tension stylistique est le régime d’existence normal des textes littéraires » (p. 171).

    Le chapitre VI « Penser à hue, écrire à dia : Sartre, 1952 » (p. 173-203) est dédié à l’écrivain qui aurait été l’initiateur de la recherche des tensions rédactionnelles, peut-être pour « nier son propre malaise » (p. 173). G. Philippe met une nouvelle fois en évidence les trois types de tension possibles : « tension dans la pensée du style, tension entre la pensée et la pratique stylistique effective, tension entre les formes rédactionnelles au sein d’un même texte » (p. 174). « À la dichotomie poésie / prose va peu à peu se substituer une autre opposition, à l’intérieur même de la prose et dans l’œuvre elle-même » (p. 176) : les écrits « en style » et les écrits « sans style » (textes politiques et philosophiques). En plus du couplage qualité des appariements lexicaux / qualité des agencements syntaxiques, pour Sartre, dans les années 1960-1970, « la prose ne sera ainsi pleinement littéraire et le style pleinement style que si une autre exigence est respectée, une sorte de souci formulaire […] » (p. 188). Dans un second temps, l’auteur de l’essai évoque La Reine Albermarle (1951-1952), un livre inachevé dont les fragments qui nous sont parvenus « suivent une série de protocoles rédactionnels parfois bien différents » (p. 192). La contradiction réside dans le fait que Sartre a condamné la prose poétique dans ses écrits théoriques alors qu’il la pratiquait régulièrement et la trouvait pertinente. Sartre voyait dans la « surperception » « le fondement de l’expérience esthétique » (p. 197), et « dans l’image le mode privilégié d’expression littéraire de la surperception » (p. 199). Cela peut expliquer, dans La Reine Albermarle, « l’omniprésence de la métaphore, cet emblème même de la poétisation de la prose » (p. 199). Ce texte montre que « notre quotidien est fait de sensations fines et que, pour en rendre compte, il y a une nécessité expressive voire phénoménologique à recourir à une prose poétisée » (p. 202-203).

    Le dernier chapitre, « Le style pris à son propre piège » (p. 205-232), aborde une « nouvelle configuration » avec une écrivaine « au sommet du canon littéraire », Duras (dont G. Philippe a dirigé l’édition des œuvres complètes dans la « Bibliothèque de la Pléiade »), puis, en contrepoint, le cas plus spectaculaire de l’écrivain suisse Yves Velan. Dans les deux cas, « l’écrivain a rencontré un problème rédactionnel et cherché une solution stylistique qu’il a dûment mise en œuvre, mais cette solution s’est avérée un piège, au point qu’elle a soit créé un nouveau problème, soit accentué le problème précédent » (p. 205). Dans les années 1970, « Duras devient une écrivaine de la voix » (p. 205), tandis que Velan « veut lutter contre l’uniformisation des discours et des formes » (p. 205). G. Philippe enquête alors sur les occurrences du mot voix dans les romans de Duras d’un point de vue quantitatif, mais aussi qualitatif en étudiant les épithètes qui lui sont accolées. Le premier résultat est que « la densité du terme n’a rien de spectaculaire : 0,74 occurrence pour 1000 mots » (p. 206). Mais ce taux global masque des disparités, quantitatives et qualitatives, nettes entre les œuvres : « La densité d’apparition du mot ne permet donc nullement de proposer ou de confirmer une périodisation de l’œuvre de Duras ou de sa sensibilité à ce thème » (p. 207). « Inversement, des taux très différents peuvent masquer des fonctionnements assez proches (…) » (p. 208). Entre les deux conceptions de la voix (faculté des êtres humains à émettre des sons articulés ou « ce qui caractérise, par son timbre et ses intonations, une personne comme singularité sonore » p. 210), Duras semble avoir hésité […] » (p. 211). La « légère » tendance qui se dégage est que l’écrivaine a considéré « de plus en plus la voix […] dans sa matérialité sonore » (p. 211). Cependant l’instabilité de la voix est « une facette d’une instabilité plus générale » (p. 212), de la

    double postulation entre d’une part une fascination pour l’expérience la plus personnelle et la surexpression des sentiments les plus forts, et d’autre part – par simple impossibilité d’atteindre cette plénitude de la présence au monde et à soi – une tentation du neutre, de l’évanescence, de la sous-expressivité. (p. 212)

    G. Philippe rappelle l’importance de la catégorie de la voix pour la littérature narrative de la seconde moitié du XXe siècle, par opposition avec la catégorie de l’oral (pratiques langagières populaires, souci lexical, argot) qui a marqué la littérature de la fin du XIXe siècle et du premier tiers du XXe siècle, emblématisée par Céline. La période « vocale » se caractérise par le souci de l’oral commun (vs populaire) pour « faire entendre une voix derrière le texte » (p. 213), qui se donne lui-même comme un discours spontané non planifié, désigné par Duras elle-même par les expressions « écriture courante » et « écriture de l’urgence ». Les procédés langagiers en sont les ajouts au-delà du point final, les retours reformulatifs ou correctifs, la sous- ou surponctuation, les hésitations, l’incomplétude et l’assouplissement de la contrainte grammaticale. G. Philippe conclut de manière prudente et nuancée « qu’importe l’instabilité de la présence et des emplois du mot voix dans les récits, le style de Duras se serait peu à peu “vocalisé” » […] » (p. 215) tardivement, dans les années 1980, mais non de manière radicale. Il formule à partir de « ce décalage chronologique […] une première hypothèse : il y a peut-être quelque chose qui gêne Duras dans la voix, et cette chose, c’est peut-être le corps » (p. 216). En d’autres termes, Duras ne veut pas « la personnalité ou l’émotion » qui se reflètent dans la voix (p. 219). Ce chapitre illustre bien les apories de la recherche fondée sur la méthode quantitative, et de manière plus générale la difficulté de tout expliquer dans une œuvre littéraire, et de démontrer une hypothèse, en somme, les limites d’une démarche scientifique appliquée aux textes littéraires.

    De son côté, Velan veut lutter contre l’uniformisation en « empruntant à des protocoles rédactionnels peu compatibles » (p. 227), littéraires et non littéraires, mais il se trouve en échec (« désémantisation ») du fait qu’on ne peut pas échapper aux modèles. Cette section permet à G. Philippe de revenir rapidement sur les concepts d’intertextualité, de polyphonie et de postmodernité.

    En conclusion, le livre s’achève sur le constat que la tension « semble avoir traversé tout le siècle, dans la recherche d’un style qui soit à la fois littéraire et non littéraire » (236), et même le style avant-gardiste a cherché à s’inscrire dans la continuité de ce qu’il voulait détruire (p. 237).

    D’un plume alerte, l’essai théorique et critique de G. Philippe se présente à la fois comme une enquête presque policière et une réflexion subtile et nuancée, presque toujours clairement exposée, et solidement étayée à la fois sur une abondante documentation et sur une étude scrupuleuse des corpus.

    Sophie JOLLIN-BERTOCCH
    CHCSC (Centre d’Histoire Culturelle des Sociétés Contemporaines)
    Université Paris-Saclay, UVSQ

  • La Reconstruction

    https://lareconstruction.fr/
    Séminaire-Atelier de lecture 2024-2025

    Lia Kurts-Wöste
    (Université Bordeaux-Montaigne)

    Aspects de la sémiotique des cultures
    Le mardi 12 novembre 2024, 18h-19h15
    En ligne, lien accessible à tous :

    Lia Kurts-Wöste sera présentée par Astrid Guillaume (Sorbonne Université), Directrice fondatrice des Cahiers de sémiotique des cultures et de la collection Sémiotique aux Classiques Garnier.  

    Lia Kurts-Wöste est Maîtresse de Conférences (HDR) à l’Université Bordeaux-Montaigne et membre de l’UR « Plurielles » 24142. Elle développe des travaux en sémiotique des cultures et élabore des éléments de synthèse articulant sémiolinguistique, sémiotique comparée, stylistique et herméneutique, notamment à partir de corpus poétiques modernes et de corpus musicaux. Derniers ouvrages parus : Mondes et poésie. Au cœur des sciences du langage et de la culture (PUBordeaux, 2023); Acte et tact herméneutiques (Champion, 2022) ; avec Astrid Guillaume, Faire sens, faire science (ISTE, 2020) (Making sense, making science (ISTE-Wiley, 2021) ; avec Sophie Jollin-Bertocchi, Anne-Marie Paillet et Claire Stolz, La simplicité. Manifestations et enjeux culturels du simple en art (Champion, 2017).

    Pour recevoir les informations sur les séances du séminaire La Reconstruction :
    https://groupes.renater.fr/sympa/subscribe/lareconstruction?previous_action=info

    Pour visionner les séances précédentes et accéder aux documents de support :
    https://www.youtube.com/@lareconstruction/videos ou https://lareconstruction.fr

    Pour s’abonner à la page Linkedin de LaReconstruction  : 
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  • Le poème en 1924. Aux marges du surréalisme

    Études littéraires, vol. 53, 1 / 2023
    sous la direction de Arnaud Bernadet

    https://www.etudes-litteraires.ulaval.ca
    Le poème en 1924. Aux marges du surréalisme

    Si l’année 1924 est reconnue comme un moment charnière dans la poésie d’expression française, notamment à cause de la publication du Manifeste du surréalisme d’André Breton, elle marque également l’essor de plusieurs auteurs laissés en marge de l’histoire littéraire, restés dans l’ombre du courant surréaliste.
    Ce numéro d’Études littéraires tient donc à revisiter cette année, à redonner à ces écrivains, qui ne sont pas pour autant « d’arrière-garde » ou « antimodernes », leur juste place et à rendre compte du formidable foisonnement de l’époque. Car la modernité du poème qui occupe cette période est effectivement plurielle : elle peut autant user de la révolution que se cantonner à l’évolution. Elle ne se limite pas non plus au centre parisien, et peut également trouver naissance dans la migration et le voyage.
    Au sein même du groupe surréaliste, les visions sont multiples – le groupe refusera d’ailleurs de figurer dans l’Anthologie de la nouvelle poésie française, elle-même dirigée par des surréalistes –, laissant Antonin Artaud « aux confins de l’avant-garde ». Ce dernier n’est pas le seul à préférer les marges aux théories surréalistes : Tristan Tzara répliquera au Manifeste de 1924 par la publication des Sept manifestes dada et Blaise Cendrars refusera de limiter la poésie à une « école exclusive ».
    Ce sont donc les œuvres et les visions, de Cendrars, Tzara et Artaud, en plus de celles de Marcel Thiry, Saint-John Perse, Marcel Mauss, Alfredo Gangotena et Jules Supervielle – tous ayant eu un rôle à jouer dans la modernité de la poésie – qui sont au centre de ce numéro qui montre la richesse véritable de l’année 1924.

    Sommaire

    Arnaud Bernadet
    Voix oubliées, voix décentrées. Lire le poème en 1924 7

    ÉTUDES

    Anne Reverseau
    Anthologie de la nouvelle poésie française de Kra. Défense et illustration de la diversité formelle de la modernité 25

    Alexander Dickow
    Un reliquaire : les Sept Manifestes dada de 1924 41

    Olivier Penot-Lacassagne
    Aux confins du surréalisme, Antonin Artaud… 61

    Claude Leroy
    Spirale de 1924 chez Blaise Cendrars 75

    Bertrand Degott
    Toi qui pâlis au nom de Vancouver de Marcel Thiry: trop pâli pour être moderne ? trop dépoli pour ne pas l’être ? 91

    Nelson Charest
    Pour fêter un contre-don : Mauss et Saint-John Perse 109

    Émilien Sermier
    Le vers au grand large. De Gangotena à Supervielle 123

    Sophie Fischbach
    Poésie et profondeurs : « Toucher violemment le fond des choses ». Les « Poèmes de Guanamiru » (Gravitations) de Jules Supervielle 139

    ANALYSES

    Fatima Zohra Rghioui, Cassandre Heyraud et Camilo Balaguera Fonctions de l’énonciation poétique dans Mahmoud ou la montée des eaux (2021) d’Antoine Wauters 159

    Ismaïl El Jabri, Marie Schaeverbeke et Joana Thanasi
    Voix et énonciation dans Le Musée des contradictions d’Antoine Wauters 175

    Desiré Calanni Rindina
    Modernisme et crise de la représentation dans Aveux non avenus 189

    Claude Tuduri
    L’art de l’amitié chez Montaigne : une pratique poétique, sociale
    et utopique de l’écriture 211

    Notices sur les collaborateurs et collaboratrices

    Résumés / Abstracts

    Feuilleter la présentation

  • Séminaire 2024-2025 « Politiques du style »

    Séminaire 2024-2025 « Politiques du style »

    Un vendredi par mois, de septembre à mars, 16h-18h

    Université Paris Cité et Sorbonne université

    Page du séminaire

    © Hugh Kepets, West 11th St. I Blue Rail

    Argumentaire

    Considérant que, dans l’histoire littéraire, des rapprochements spontanés sont faits entre des styles, individuels ou collectifs, et des positions politiques, le séminaire de recherche « Politiques du style » a décidé d’interroger les interactions entre ces deux domaines, et d’identifier leurs modalités.

    Pour ce faire, nous invitons des chercheurs dont les publications éclairent les rapports entre politique et style sous un angle nouveau ; certaines séances sont en outre consacrées à des travaux inédits, qui constituent autant de prises de recul théorique et méthodologique sur les disciplines littéraires et stylistiques.

    Le séminaire s’intéresse à ce que l’on pourrait appeler l’environnement politique des styles littéraires. Ce premier mode de rapprochement découle d’une simple juxtaposition : qu’un écrivain soit libéral, réactionnaire, féministe ou raciste, il aura toujours un style, susceptible d’être caractérisé en termes politiques par un simple effet de contiguïté. Au prix d’un saut logique, le style des auteurs libertaires deviendrait ainsi le style libertaire. L’environnement politique inclut également les « imaginaires stylistiques », ces discours qui circulent sur le style, et qui sont régulièrement traversés d’enjeux et de représentations politiques. La vocation des stylisticien·ne·s est entre autres d’éprouver la congruence des discours et des pratiques, en portant une attention particulière à la source des jugements stylistiques (les critiques, les savant·e·s, le grand public, l’auteur lui-même).

    Mais le séminaire entend surtout saisir la dimension politique des manières d’écrire elles-mêmes. Il a vocation à accueillir diverses approches. Certaines sont d’ordre sociologique : le style est toujours style en langue, il est symptomatique d’un ancrage de classe ; il est aussi une prise de position dans le champ littéraire, distinguant un·e écrivain·e de ses confrères et consœurs. D’autres empruntent à la pragmatique : le style est une mise en forme du discours qui a une visée (argumentative ou affective) ; en sélectionnant des allocutaires, il dessine une communauté politique. Quelques approches, enfin, soulèvent des enjeux cognitifs ou psychologiques : le style, quoique en apparence extérieur aux rapports sociaux, est un lieu de « résolution symbolique » (Jameson) des contradictions et des conflits (de classe, mais aussi de désir) ; en tant que mise en forme langagière d’une vision du monde, d’un découpage particulier du réel, un style engage un rapport au temps, à l’espace, à la rationalité, à autrui, etc., et en tant que telle invite à élaborer une phénoménologie stylistique (elle-même amenée à aborder les enjeux politiques à travers sa grille conceptuelle propre, selon qu’on s’appuie sur une phénoménologie heideggerienne, sartrienne, levinassienne, etc.).

    Enfin, les productions littéraires sont conjointement langagières (que ce soit sous une forme discursive ou narrative) et idéologiques. Ainsi, une période historique donnée produit des nœuds idéologiques (ou « idéologèmes ») qui se cristallisent dans certaines formes littéraires. Analyser les pratiques stylistiques sur un mode historique doit permettre d’articuler l’interprétation littéraire à une périodisation des rapports sociaux et économiques.

    Calendrier

    27 septembre (Maison de la Recherche de Sorbonne université, salle D421) : 

    Mobilités sociales, distinction et identités collectives, avec Morgane Cadieu (On Both Sides of the Tracks : Social Mobility in Contemporary French Literature, The University of Chicago Press, 2024) et Joachim Mileschi (Usage, création et diffusion de sigles dans le rap francophone (1990-2020), en cours)

    29 novembre (Maison de la Recherche de Sorbonne université, salle D421) : 

    Genres et contre-cultures, avec Marie-Jeanne Zenetti et Matthieu Rémy (« Dernières nouvelles du style situationniste »)

    Janvier (à confirmer) : Entretien de Benoît Auclerc avec Nathalie Quintane

    21 mars (Grands Moulins, salle 679C) : 

    Les nouvelles formes de l’engagement, avec Justine Huppe (La littérature embarquée, Amsterdam, 2023) et Sylvie Servoise (La littérature engagée, Que sais-je, 2023 ; Démocratie et roman, Hermann, 2022)

    Informations pratiques

    Université Paris Cité : Esplanade Vidal-Naquet, Aile C, 6e étage, Paris 13

    Sorbonne université : Maison de la recherche, 28 rue Serpente, Paris 06

  • Le style en (icono)texte : littérature et bande dessinée

    Le style en (icono)texte : littérature et bande dessinée

    16h-18h, Maison de la Recherche
    28, rue Serpente 75006 Paris

    Comité d’organisation :
    Arianna Bocca-Pignoni,  arianna.bocca[a]etu.sorbonne-universite.fr
    Clara Cini,  clara.cini[a]sorbonne-universite.fr
    Norbert Danysz,  norbert.danysz[a]univ-lyon2.fr

    Présentation

    À la suite de la journée d’étude “Penser le style des littératures écrites et dessinées : pratiques de la greffe”, qui s’est tenue à Sorbonne Université le 31 mai 2024, ce séminaire vise à poursuivre les discussions autour de l’objet style en prolongeant le dialogue esquissé entre littérature et bande dessinée. 

    Pensé en littérature comme un écart avec la norme, ou comme une illustration de celle-ci, comme l’expression d’une singularité auctoriale ou comme le reflet d’une allégeance à un courant littéraire, à un genre, voire comme le témoignage de la langue d’une époque, le concept de style s’avère aussi malléable qu’épineux pour la recherche. Prise au croisement de diverses « mystiques » selon François Rastier, à la fois inévitable, et malaisée d’approche, la notion a donné lieu à de nombreuses réflexions depuis l’œuvre fondatrice de Charles Bally instituant en France la discipline de la stylistique. En vertu de sa nature protéiforme, on reconnaît toutefois à la notion de style son adaptabilité puisqu’elle s’emploie aisément pour caractériser tous les domaines et les formes d’expressions, au-delà du seul champ littéraire. 

    Aussi, interroger le style en bande dessinée c’est se heurter aux spécificités du médium : l’hybridité iconotextuelle qui le définit et la réalité souvent collective de sa production. Dans la lignée des approches logocentrées de la bande dessinée, les études liées au style de ce médium se sont originellement concentrées sur ses récits et ses discours. Progressivement, l’intérêt croissant porté à l’esthétique de la bande dessinée a conduit à mener des études stylistiques de ses images, en tentant de dégager des filiations artistiques dans ce qui est considéré non plus seulement comme un médium mais bien comme un neuvième art. Réévaluer la dimension picturale de la bande dessinée amène à s’interroger sur la qualité des images valant pour elles-mêmes, au-delà de leur rôle seulement narratif, en mettant au centre de la préoccupation esthétique la notion de graphiation. Cependant, ces travaux n’en restent pas moins sporadiques et les récentes études font, en tentant de le combler, le constat d’un manque critique important.

    Ce séminaire prend donc le parti de mettre en regard des approches variées, opposées ou complémentaires du style. Tout en s’abstenant de considérer le médium de la bande dessinée comme un simple genre dérivé de la littérature, il s’agira d’envisager, en parallèle ou dans un même geste, des productions pouvant relever de ces deux champs contigus : le roman, la nouvelle, le poème, la micro-fiction, aussi bien que les genres de l’autobiographie au sens large, dans l’album, la planche, le strip voire le cartoon.

    Chaque séance sera l’occasion d’exposer, de confronter ou de réconcilier des approches diverses de la notion de style, notion plastique qui s’avère d’autant plus malléable dès lors qu’on l’applique tour à tour à des corpus textuels ou iconotextuels. Il s’agira ainsi de faire dialoguer deux chercheur·euses spécialistes, l’un·e de littérature écrite, l’autre de bande dessinée, au fil de six rencontres. 

    Programme

    Vendredi 11 octobre 2024 | 16h-18h (salle D223)
    Représentations médiévales et constructions stylistiques
    Anna Denis (Université Paris-Est Créteil)
    Astrée Ruciak (Sorbonne Université)

    Vendredi 6 décembre 2024 | 16h-18h (salle D223)
    Style des auteurs, style des œuvres ?
    Stéphane Bikialo (Université de Poitiers)
    David Pinho Barros (Université de Porto)

    Vendredi 24 janvier 2025 | 16h-18h (D513, Salle 18)
    Principes, survivances et modernités
    Anthony Rageul (Université de Reims Champagne-Ardenne)
    Bernard Vouilloux (Sorbonne Université)

    Vendredi 28 février 2025 | 16h-18h (salle D223)
    Mémoires et trajectoires
    Benoît Crucifix (KU Leuven et Royal Library of Belgium)
    Laélia Véron (Université d’Orléans)

    Vendredi 25 avril 2025 | 16h-18h (salle D223)
    Variations graphiques et textuelles
    Clara Cini (Sorbonne Université)
    Philippe Marion (UCLouvain)

    Vendredi 6 juin 2025 | 16h-18h (salle D223)
    Expressivité de l’(icono)texte
    Éric Bordas (ENS de Lyon)
    Jacques Dürrenmatt (Sorbonne Université)

    Informations pratiques

    Lieu

    Maison de la Recherche de Sorbonne Université
    28 rue Serpente
    75005 Paris

    Inscription obligatoire aux adresses suivantes :

    • arianna.bocca[a]etu.sorbonne-universite.fr
    • clara.cini[a]sorbonne-universite.fr
    • norbert.danysz[a]univ-lyon2.fr
  • Une certaine gêne à l’égard du style

    Présentation

    C’est le style, pense-t-on, qui assure l’unité d’une œuvre. Et l’on imagine aussi que les écrivains travaillent avec une idée plus ou moins claire de la façon dont leurs textes doivent être rédigés, si bien qu’il s’agirait simplement pour eux de faire coïncider leur idéal et leur prose. Or, les choses sont plus compliquées…

    Quand on y regarde de près, les pratiques rédactionnelles des écrivains vont à hue et à dia et elles peinent à trouver leur pleine cohérence. On en connaît quelques exemples célèbres : avec bien des premiers lecteurs de Céline, le jeune Claude Lévi-Strauss s’est demandé si c’était bien la même personne qui avait rédigé le début et la fin de certains paragraphes de Voyage au bout de la nuit. Quant aux premières lectures importantes de L’Étranger, toutes se sont étonnées d’une évidente contradiction stylistique dans le roman d’Albert Camus.

    Le présent ouvrage se propose dès lors d’interroger les formes stylistiques à partir de leurs tensions et les discours sur le style à partir de leurs failles. Prenant ses premiers appuis sur une dizaine de cas en apparence fort singuliers (Bernanos, Camus, Duras, Ramuz, Sartre, Simenon, Valéry…), il suggère un principe de lecture et esquisse une typologie des contradictions. Mais il avance aussi deux idées : la première veut que toute la prose du xxe siècle ait connu une certaine gêne à l’égard du style ; la seconde veut que la tension stylistique soit finalement le mode d’existence naturelle des œuvres littéraires.

  • Questions de style. Au croisement de l’anthropologie, de l’esthétique et de l’histoire de l’art

    Lien vers le site de l’événement

    Résumé

    Le style fait partie de ces notions par excellence ambivalentes. On parle autant du style d’un artiste, d’un collectif, que d’une civilisation. Quelles que soient les échelles auxquelles s’applique le style, on suppose de lui une certaine constance : un style qui changerait de forme basculerait en un autre style. On charge le style de jouer le rôle de marqueur d’identification – d’une époque, d’un endroit ou encore d’une personne. Le style remplit bien des fonctions de repère, et ne saurait dès lors être relégué au rang du supplément formel. Que le style se joue dans une feuille d’acanthe ou dans une toile de Cézanne nous engage à le poser d’abord comme une question. Gageons, avec Riegl, que cette question sera nécessairement plurielle.

    Présentation

    Le style fait partie de ces notions par excellence ambivalentes. On parle autant du style d’un artiste, d’un collectif, que d’une civilisation. Quelles que soient les échelles auxquelles s’applique le style, on suppose de lui une certaine constance : un style qui changerait de forme basculerait en un autre style. On charge le style de jouer le rôle de marqueur d’identification – d’une époque, d’un endroit ou encore d’une personne. Le style remplit bien des fonctions de repère, et ne saurait dès lors être relégué au rang du supplément formel. Que le style se joue dans une feuille d’acanthe ou dans une toile de Cézanne nous engage à le poser d’abord comme une question. Gageons, avec Riegl, que cette question sera nécessairement plurielle.

    Cette journée d’étude qu’accueille le Centre d’études phénoménologiques, sera introduite par le Pr. Sylvain Camilleri et réunira des chercheurs et chercheuses dont les préoccupations scientifiques se situent au croisement de l’anthropologie, de l’esthétique et de l’histoire de l’art. Elle débutera par une intervention dont le philosophe Jean-Marie Schaeffer nous fait l’honneur, à titre de conférencier principal, et se poursuivra par une présentation et une discussion des travaux de la Pr. Caroline Heering, de Charles Lebeau-Henry, d’Adnen Jdey et de Clarisse Michaux.

    Programme

    • 9 : 15 – Sylvain Camilleri (UCLouvain – CEP) : Mot d’introduction

    • 11 : 00 – 11 : 45 – Clarisse Michaux (ULiège – CREPH) : Reconnaître un auteur à son style. Au sujet de schèmes perceptuels dans la réception des œuvres d’art.

    Pause déjeuner

    • 9 : 30 – 10 : 30 – Keynote speaker : Jean-Marie Schaeffer (EHESS – CRAL) : Les embarras du style

    Pause

    • 11 : 00 – 11 : 45 – Clarisse Michaux (ULiège – CREPH) : Reconnaître un auteur à son style. Au sujet de schèmes perceptuels dans la réception des œuvres d’art.Pause déjeuner

    • 13 : 30 – 14 : 15 – Caroline Heering (UCLouvain – GEMCA) : L’acte ornemental : une finalité sans fin

    • 14 : 30 – 15 : 15 – Adnen Jdey (UCLouvain – CEP) : L’ornement chez Ingarden : une phénoménologie du style à l’épreuve de la Kunstwissenschaft

    Pause 

    • 15 : 45 – 16 : 30 – Charles Lebeau-Henry (UCLouvain – CEP) : Les débuts de la notion de style baroque en musique. Nietzsche entre Burckhardt et Wölfflin

    • 17 : 00 – Clôture

    Contacts

    Adnen Jdey
    courriel : adnen [dot] jdey [at] uclouvain [dot] be
    Clarisse Michaux
    courriel : clarisse [dot] michaux [at] uliege [dot] be







  • L’épistolier-lecteur. Styles de lettres et styles de vies, Séminaire CECJI 2024

    SÉMINAIRE DU CENTRE D’ÉTUDE DES CORRESPONDANCES ET JOURNAUX INTIMES
    CECJI, ÉA 7289
    Responsable : Marianne Charrier-Vozel

    Du 19 janvier 2024 au 15 novembre 2024
    À 14h00

    Lieu : CECJI

    Présentation

    Dans le Manuel épistolaire à l’usage de la jeunessePhilipon La Madelaine voit dans les prétendus oublis des lectures de Mme de Sévigné une qualité qui participe de l’agrément d’une correspondance qui est devenue, au fil des siècles, un modèle du genre : 

    « J’aime mieux cette même Mme de Sévigné qui me dit dans une de ces lettres charmantes : « Je vous rapporterais là-dessus un beau vers du Tasse si je m’en souvenais » ; je l’aime mieux, dis-je, que celui qui, à cette occasion, m’en eût débité deux ou trois stances ». 

    Dans la continuité de l’ouvrage de Philipon, Bescherelle reprend ce conseil, illustrant cette fois-ci son propos avec l’exemple d’une grande épistolière du siècle suivant, Mme du Deffand qui n’utilise pas de citation afin de plaire à son correspondant, Horace Walpole, dont elle est passionnément amoureuse :  « Je serais bien tentée de vous faire une citation de Quinault, mais vous me gronderiez et je ne me permettrai plus rien qui puisse vous fâcher et jamais, jamais, je ne vous écrirai un mot qui puisse vous forcer à me causer du chagrin par vos réponses. J’aime mieux étouffer toutes mes pensées ».

    À partir de ces deux exemples, nous pourrions hâtivement conclure que les épistolières et les épistoliers de l’Ancien Régime doivent abandonner leurs lectures et leurs auteurs préférés afin de ne pas importuner leur correspondant, suivant la règle que Philipon résume en une formule elliptique qui nous invite à mettre en concurrence deux pratiques, d’un côté la lecture des livres considérée comme une ouverture sur le monde extérieur et de l’autre, l’écriture des lettres communément envisagées comme des ego-documents : « Dans une lettre soyez vous, et non autrui » : la lettre « doit m’ouvrir votre âme, et non votre bibliothèque ». 

    Tandis que de nombreuses études ont envisagé les correspondances comme les archives de la création en s’intéressant notamment aux confidences et commentaires que les écrivains font dans leurs lettres sur leurs œuvres, nous retiendrons exclusivement les lectures d’œuvres que les épistoliers, souvent des auteurs, n’ont pas eux-mêmes écrites et publiées.

    Partant alors du constat de la méfiance affichée des théoriciens du genre épistolaire pour l’insertion de citations dans les lettres, il ne semble pas surprenant, au premier abord, qu’aucune étude, à ce jour n’ait été entièrement consacrée aux interactions entre l’activité d’écriture des lettres familières et l’activité de lecture. Ce manque est d’autant plus regrettable que l’étude du va-et-vient entre la lecture et le dialogue épistolaire offre un angle fort stimulant pour les spécialistes qui s’intéressent au genre épistolaire et à la littérarité de la lettre. 

    Du côté des nombreux chercheurs qui ont consacré des travaux à la pratique de la lecture, à son évolution dans le temps et à la place qu’elle occupe dans notre vie quotidienne et tout au long de notre existence, force est de constater pourtant les références opportunes à de multiples correspondances.

    Parmi ces travaux, l’ouvrage de Marielle Macé, publié en 2011 et intitulé Façons de lire, manières d’être, occupe une place de premier plan. Dans son essai, Marielle Macé fait notamment référence aux lettres de Marcel Proust, de Gustave Flaubert, de Jean-Paul Sartre ou bien de Roland Barthes, suggérant le lien intime qui unit la pratique de la lecture et la pratique de l’écriture épistolaire dans le parcours de vie d’un individu : « Affirmer que l’on ne quitte pas sa vie en lisant, mais que ce qui se passe dans la lecture a un avenir sur cette vie : on y essaie des pensées, des façons de dire et de se rapporter aux autres, des manières de percevoir, on module son propre accès au monde, on tente d’autres liens, d’autres gestes, d’autres rythmes, d’autres communautés… » ; les correspondances ne constituent-elles pas l’espace où se déploient ces « pensées », ces « façons de dire » et d’être au monde ? 

    Grâce au dialogue épistolaire, la solitude du lecteur se brise et la lecture, silencieuse, devient bavarde.  Il s’agira ainsi d’envisager les correspondances familières comme le lieu d’expression privilégiée de « l’aptitude du lecteur », pour reprendre les termes de Marielle Macé « à prolonger un style littéraire dans la vie (à se guider grâce à lui, contre lui ou malgré lui, dans les situations du monde sensible vers lequel la lecture le reconduit forcément) » en explorant le va-et-vient entre la lecture des livres et l’écriture des lettres selon les trois axes qui suivent.

    Nous espérons que la mise en commun des réponses apportées à l’ensemble de ces questions lors des séances du séminaire apportera des éléments décisifs afin de mieux saisir ce qui fonde la littérarité de la lettre que nous proposons d’envisager comme « le texte du lecteur ». 

    Nous prévoyons de publier dans un recueil collectif, à la fin du séminaire, l’ensemble des communications.

    AXE 1 : Pratiques de lecture et écriture des lettres : concurrence et/ou complémentarité ? 

    Dans quelles circonstances l’épistolier évoque-t-il ses lectures ?

    Pouvons-nous observer au cours d’une existence des moments privilégiés consacrés à l’écriture des lettres et à la lecture ?  

    Comment l’épistolier concilie-t-il dans son quotidien le temps consacré à l’écriture des lettres et le temps consacré à la lecture ? Existe-t-il un lien entre le moment de la lecture, l’interruption et la reprise de la lettre ? Ce lien évolue-t-il en fonction des époques, notamment à partir du XVIIIe siècle et de l’affirmation de l’intime dans les correspondances familières ?

    Comment et sous quelles formes discursives (citations, résumés, commentaires, gloses…) l’épistolier évoque-t-il alors ses lectures ? Ces évocations peuvent-elles être considérées comme des discours rapportés concurrents, complémentaires ou intrinsèques au discours épistolaire ? 

    AXE 2 : Ecrire des lettres et lire pour styliser son existence ?

    Quel est le lien entre la composition de la bibliothèque, le choix des genres qui sont lus, les goûts et l’éthos de l’épistolier ? 

    Les lectures sont-elles évoquées pour parler de soi et pour styliser sa vie dans les lettres ?

    Comment s’incarne le concept de lecteur-modèle dans les pratiques de l’épistolier-lecteur et dans l’écriture des lettres ?  

    Le processus d’identification à l’œuvre dans l’activité de lecture participe-t-il de l’écriture de soi dans les lettres ? 

    Observons-nous un mimétisme de style entre les lectures de l’épistolier et les procédés d’écriture qu’il utilise dans ses lettres ?

    En quoi ses lectures invitent-elles l’épistolier à donner du sens à son existence et à celle de son correspondant ? 

    AXE 3 : Lecture et grammaire du rapport à l’autre dans les lettres : pragmatique épistolaire de la lecture 

    Pourquoi les correspondants partagent-ils leurs lectures ? Pour idéaliser le lien qui les unit, pour séduire, pour développer une réflexion morale et/ou esthétique sur le monde, pour convaincre, pour conseiller, pour consoler ? 

    Pouvons-nous observer, selon la nature du lien qui unit les correspondants, une sélection opérée par l’épistolier dans ses lectures ?  En quoi cette sélection est-elle significative de l’évolution du lien qui unit les épistoliers au fil du temps ? 

    Les correspondants lisent-ils les mêmes livres, partagent-ils les mêmes goûts et les mêmes avis ?

    Quelle place est donnée dans le dialogue épistolaire aux livres qui ne sont lus que par un seul des correspondants ? Quelle place est accordée aux livres que les épistoliers ne lisent pas et pourquoi ?

    La lecture d’un livre peut-elle conduire à la suspension, voire à l’interruption définitive de la correspondance ? 

    Programmation

    Vendredi 19 janvier 2024
    14h-15h30 en visioconférence
    Clément FRADIN, Université de Lille
    « Lire sans perdre le fil » : les lectures de Paul Celan au miroir de ses lettres »

    Vendredi 16 février 2024
    14h-15h30 en visioconférence
    Luc FRAISSE, Université de Strasbourg
    « Proust en correspondance avec les écrivains contemporains incarne-t-il sa conception du lecteur modèle ? »
    Vendredi 15 mars 2024
    14h-15h30
    Martine JACQUES, Université de Bourgogne
    « La correspondance de Mme de Graffigny : s’autoriser et s’auctoriser »

    Vendredi 15 juin 2024
    14h-15h30
    Nathalie FERRAND, Item-Ens-Cnrs
    « Rousseau lecteur, au miroir de sa Correspondance »

    Vendredi 27 septembre 2024
    14h-15h30
    Bruno BLANCKEMAN, Université  Sorbonne Nouvelle Paris-3
    « Le « lire-écrire » critique de Marguerite Yourcenar dans sa correspondance »

    Vendredi 11 octobre 2024
    14h-15h30
    Olivier WAGNER, Bibliothèque Nationale de France
    « « Je suis ici avec Byron que j’adore… » La citation et l’actualité littéraires dans la Correspondance amoureuse entre Natalie Clifford Barney et Liane de Pougy »

    Vendredi 15 novembre 2024
    14h-15h30
    Marcos MORAES, Université de São Paulo
    « Mário de Andrade, lecteur de la poésie française : des témoignages en lettres »

  • Atelier de méthodologie de la recherche en stylistique (Orléans)

    Le 3 Avril 2024

    Université d’Orléans

    UFR LLSH, salle du conseil

    L’Association Internationale de Stylistique (AIS), propose un atelier de méthodologie de la recherche en stylistique, le mercredi 03 avril 2024, à l’Université d’Orléans.

    Cet atelier a pour but d’offrir un espace d’échange entre jeunes doctorantes/doctorants ou jeunes docteures/docteurs, de France et de l’étranger, et chercheuses et chercheurs plus aguerris en stylistique. L’AIS a déjà organisé deux journées d’études à l’intention des jeunes chercheuses et chercheurs : en 2017 à l’Université d’Aix-Marseille (« Territoires et frontières du style », coordonnée par Joël July et Philippe Jousset), en 2021 à l’Université Sorbonne-Nouvelle (« Style et goût », coordonnée par Sandrine Vaudrey-Luigi et Judith Wulf).

    Pour 2024, l’AIS propose non pas une journée d’études unie autour d’une thématique mais un atelier de travail et de réflexion méthodologique, qui est ouvert à tout type de recherche stylistique. Cet atelier est, pour les jeunes chercheuses et chercheurs, l’occasion de présenter leur travail devant des spécialistes de la discipline, d’affiner leurs méthodes, de réfléchir à leurs perspectives de travail, mais aussi de potentiellement découvrir d’autres manières de travailler en stylistique. Il est également ouvert aux étudiantes, étudiants, collègues, qui souhaitent découvrir (ou mieux connaitre) la recherche en stylistique. 

    Contacts :

    laelia.veron@univ-orleans.fr

    sophie.bertocchi-jollin@uvsq.fr


    Programme

    Version PDF du programme

    Matin

    Accueil. À  partir de 9h15.

    Mot d’introduction. 9h45.

    Stylistique et analyse du discours : perspectives comparées : 10h-11h15

    Présidente de session : Claire Badiou-Monferran

    -Linda Nurmi (Université d’Helsinki) : « Qui parle ? Le DDL (Discours direct Libre) dans la littérature contemporaine française et finlandaise : Duras, Saumont, Siekkinen.  » 

    Cette communication pose la question de savoir quels sont les indices grammaticaux, co(n)textuels, sémantico-logiques et pragmatiques du discours direct libre dans les écritures de Marguerite Duras, Annie Saumont et Raija Siekkinen. Dans cette approche comparée, je m’interroge sur l’enjeu que le DDL produit dans la littérature contemporaine française et finlandaise en me limitant sur les extraits tirés des œuvres des auteures mentionnées ci-dessus. DDL – un phénomène linguistique, discursif et littéraire –, libéré du verbum dicendi ou sentiendi et des marqueurs typographiques, est au cœur du « roman parlant » des XXe et XXIe siècles.

    -Carlotta Contrini (Université de Lausanne): « Une proximité distante : le discours indirect libre chez Zola et Verga »

    Durant sa recherche doctorale, Carlotta Contrini a étudié le discours indirect libre (DIL) dans L’Assommoir d’Émile Zola et I Malavoglia de Giovanni Verga. En adoptant une approche contrastive, le patron stylistique du DIL a permis de confronter deux œuvres que beaucoup sépare. Zola a contribué à l’extension du dispositif en français grâce à L’Assommoir ; I Malavoglia de Giovanni Verga est la première œuvre de la littérature italienne qui accorde une place de choix au DIL. Son travail, axé sur la stylistique littéraire comparée, évite la simplifation par le critère de l’influence. Elle travaille maintenant sur les traductions italiennes de Zola et les traductions françaises de Verga, envisageant une extension de sa recherche à la période 1830-1930. La méthodologie rarement abordée de la stylistique littéraire comparée révèle des divergences dans l’application et la traduction du DIL, mettant en lumière une opposition profonde dans le mouvement d’assimilation des formes.

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    Stylistique, polyphonie et pragmatique: 11h15-12h30

    Présidente de session : Claire Stolz

    -Vianney Dubuc (ENS de Lyon) : « La question de la polyphonie : enjeux de la notion et défis pour une stylistique de l’énonciation »

    Depuis les années 1980, le terme de polyphonie a connu un important succès et plusieurs théorisations aussi bien dans le champ des études littéraires que dans ceux de la linguistique et de l’analyse de discours. Nous souhaitons interroger l’emploi de cette notion en stylistique et sur un corpus de textes lyriques. Dans un premier temps, nous introduirons la notion de polyphonie à partir des théorisations les plus importantes. Dans un second temps, nous chercherons à confronter ces méthodologies à travers l’étude d’un texte lyrique. Cette application permettra de montrer que la notion de polyphonie est centrale pour une étude stylistique de l’énonciation. Elle invite à repenser à la fois la définition du genre lyrique trop souvent identifié comme un genre monophonique et elle conduit aussi à laisser, dans la stylistique d’auteur, une place plus importante à la présence du discours autre, du discours des autres et des discours sociaux à l’origine d’hétérogénéités énonciatives. Penser la polyphonie revient à identifier la part sociale constitutive de toute énonciation.

    Notes de la communication (PDF)

    -Ludovico Monaci (Università degli Studi di Padova/Université de Grenoble Alpes) : « “Ce que je l’ai injurié !” : la violence verbale dans la Recherche de Proust »

    Cette intervention se concentre sur la violence verbale dans la Recherche. À partir de la fréquence avec laquelle un tel mot d’injure est prononcé, on retracera les analogies stylistiques communes aux idiolectes et aux sociolectes. L’introduction du critère oppositif en face/dans le dos permettra de dépeindre les tendances discursives et les spécialisations conversationnelles des figures romanesques lorsqu’elles sont les responsables ou les victimes d’une injure ou d’une médisance. En parallèle, par l’analyse des excentricités perlocutoires et des infractions pragmatiques, on témoignera de l’hétérogénéité formelle qui est inscrite dans ce genre de manifestations linguistiques. Notre objectif est de réhabiliter la violence verbale dans les dynamiques romanesques, et de lui restituer la place qui lui incombe au sein de l’œuvre proustienne.

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    Après-midi 

    Stylistique et stylométrie: 14h-14h40

    Présidente de session : Laélia Véron

    Alice Dionnet (Université d’Orléans) : introduction à la stylométrie

    Cette présentation en deux temps se consacrera d’abord à la présentation de la stylométrie, de ses objets et objectifs et des techniques qui lui sont associées. Seront utilisés comme exemple les travaux d’attribution d’autorité, notamment ceux effectués par Jean-Baptiste Camps et Florian Cafiero concernant l’attribution des pièces de Molière à Corneille. J’interrogerai ensuite les frontières de la stylistique en montrant comment j’ai utilisé certaines de ces techniques de stylométrie pour comparer le style des romans d’aventures identifiés par les théoriciens du genre et celui des jeux vidéo dits « R.P.G », ou role-playing games, largement influencés par ce genre littéraire et celui de la fantasy, en l’occurrence avec l’exemple de Dragon Age : Origins (2009).

    Stylistiques littéraires (syntaxe, ponctuation, sémantique) : 14h40-16h

    Présidente de session : Judith Wulf

    Pierre Fleury (Sorbonne Université) : « La « méthode Croisset » ou comment intégrer à l’analyse du discours les questions de rythme » (Flaubert, Bouilhet, Hugo) 

    Louis Bouilhet, le 19 mars 1859, tente de défendre un alexandrin éreinté par Flaubert en l’enjoignant à « scander le vers entier (méthode Croisset) […] Je l’aime, parce que je le dis bien. » Notre communication tâchera d’expliquer ce que peut être une telle « méthode », au croisement de l’écriture et de la lecture – une façon de lire les textes qui soit aussi une façon de les faire parler, c’est-à-dire de les interpréter… au sens où l’entendent les stylisticiens. Quelques exemples de Flaubert et de Hugo nous aiderons à percevoir ce que peut apporter à l’exégèse cette prise en compte du flux configurant de la lecture. Partant, y aurait-il une possibilité théorique pour inclure la phrase (en tant que syntaxe virtuellement « musicale ») dans les paradigmes de l’analyse du discours et de la linguistique énonciative, jugées parfois sourdes à la prosodie et au rythme ?

    Clara Cini (Sorbonne Université) : « Pour une stylistique de la ponctuation : variations et permanences dans la représentation du discours autre (RDA), chez Annie Ernaux »

    Participant d’une véritable « déliaison généralisée[1] » sensible à toutes les échelles de l’œuvre, la ponctuation ernausienne, aussi bien que son absence, rend parfois difficile la détermination générique du discours autre – que l’on songe ici à l’incipit des Armoires vides. En considérant d’abord les premiers ouvrages de l’autrice, notre intervention analysera ce refus de systématicité syntaxique – particulièrement sensible lorsque les discours autres se télescopent en l’espace d’une page – comme moyen de faire entendre au plus juste et dans un même geste la diversité du dire, de ses modalités et locuteurs au sein même du texte qui les accueille[2]. Dans une perspective évolutive et génétique, nous examinerons dans un second temps les variations et permanences dans l’insertion du discours autre, au fur et à mesure des publications de l’autrice, et leurs enjeux protéiformes.

    [1] Francine Dugast-Portes, Annie Ernaux, Étude de l’œuvre, Bordas, 2008, (« Écrivains au présent », 2), p. 153.
    [2] Nous nous appuyons en partie sur les travaux de Geneviève Salvan. Voir : Geneviève Salvan, « Ordre des mots et discours rapportés : les discours directs “sans ancrage” dans Journal du dehors d’Annie Ernaux », dans Agnès Fontvielle-Cordani, Stéphanie Thonnerieux (dir.), L’Ordre des mots à la lecture des textes, Lyon, Presses Universitaires de Lyon, 2009, (« Textes & Langue »), p. 371‑384.

    Ekaterina Nevskaya (Université Côte d’Azur) « Métaphore et interpénétration sémantique dans Le Don de Nabokov »

    Dans notre communication, nous nous proposons d’étudier la manière dont le discours métaphorique permet de révéler l’appréhension du monde extralinguistique propre à Fédor, le personnage principal, et d’explorer les potentialités sémantiques du langage. Notre analyse abordera surtout un pattern particulier de la métaphorisation : le glissement d’unités sémantiques et/ou linguistiques à travers différents co(n)textes, produisant des zones de superposition entre énoncés « littéraux » et énoncés « métaphoriques » dont les frontières s’avèrent extrêmement floues. On voit apparaître ainsi toutes sortes d’effets autodialogiques fusionnant les pays, les époques, les objets, les domaines de référence… L’étude de ces effets permet d’esquisser un modèle cognitif et perceptif qui restitue le point de vue de Fédor, tout en mettant à mal la stabilité sémantique du langage (conformément à la démarche littéraire de Fédor-écrivain et, sans doute, à celle de Nabokov). Pour la mener à bien, nous procéderons notamment à des recompositions sémiques des éléments-pivots qui permettent d’intriquer le littéral et le figuré.

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    16h-16h15 : pause

    Stylistique et linguistique : 16h15-17h

    Présidente de session : Pauline Bruley

    Linguistique, narratologie et stylistique : Diane Kalms (Université de Lausanne) « L’impensée littéraire. Pour une étude sur les récits à la sixième personne » (ils, elles, iels)

     Si l’usage narratologique reconnaît le récit à la première et à la troisième personne, les récits à la sixième personne semblent négligés par la théorie littéraire. Pourtant, leur emploi de la sixième personne donne lieu à des effets de style sensément différents d’un texte à l’autre, selon des modalités narratives diverses et variées. Encore considérée par la plupart des grammaires contemporaines comme une simple variation en nombre de la troisième personne, la sixième personne jouirait d’une actualisation théorique de ses propriétés morphosyntaxiques et énonciatives. Subséquemment, en prêchant son autonomisation linguistique, nous postulons que le modèle du récit à la troisième personne (tel qu’il a été théorisé par Gérard Genette) ne peut plus satisfaire les exigences théoriques requises pour une analyse littéraire de la sixième personne dans toute sa rigueur et son exhaustivité.